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héraut, parmi les Athéniens qui ont plus de cinquante ans ? » Et quand ceux-là avaient exprimé leur avis, alors seulement venait le tour des autres. Mais surtout ce qui importait, c’était que l’orateur fût irréprochable dans ses mœurs. Les Athéniens n’ont pas connu le sophisme qui consiste à élever une barrière entre la vie privée et la vie publique de l’homme d’État ; s’ils eurent des conseillers indignes, ce fut par la force des choses et parce qu’il est difficile dans la pratique de ne pas jeter un voile sur certaines infamies, quand elles sont rachetées tant bien que mal par le talent où par d’incontestables services ; mais jamais ils n’érigèrent cette tolérance en principe : il leur semblait que celui qui prétend éclairer le peuple et le conduire, doit justifier cette prétention par la dignité de sa vie. Ils s’occupaient donc de la conduite privée des orateurs ; leurs lois, sur ce point, contenaient des dispositions dont l’ensemble constitue une morale un peu grosse, qui laisse assurément le champ ouvert à bien des vices, mais c’était quelque chose que ces devoirs élémentaires imposés à ceux qui, possédant sur la foule un immense pouvoir, étaient responsables de toutes ses décisions et, réellement, avaient charge d’âmes.

Ces devoirs, divers auteurs nous les énumèrent. Ce sont d’abord des devoirs de piété filiale : ne peut parler dans l’assemblée quiconque se livre à des voies de fait sur son père ou sur sa mère, ou refuse de les loger et de les nourrir, ou, à leur mort, n’a pas accompli en leur honneur les rites traditionnels. Viennent ensuite les devoirs civiques : nécessité d’avoir rempli toutes ses obligations militaires, pris part à toutes les campagnes auxquelles on a été appelé et de s’y être comporté ; bravement ; celui qui a jeté son bouclier pour fuir n’a plus le droit de paraître à la tribune. Elle est de même interdite au dissipateur qui a dévoré son patrimoine, au débauché qui a usé sa jeunesse dans des orgies sans nom. Tels sont, pour l’orateur, les principaux cas d’incapacité ; c’est dans ce sens qu’on scrute sa vie, quand on veut savoir s’il est digne de sa haute mission. N’avait-il accès à la tribune qu’après avoir subi un examen préalable, une dokimasie analogue à celle qui précédait l’entrée en charge des magistrats ? Sur ce détail, notre ignorance est complète. Il est possible qu’à l’origine on ait suivi une pareille procédure, mais il n’y en a plus trace au temps de Démosthène ; un homme d’État n’en pouvait pas moins toujours être arrêté dans sa carrière par une accusation de mauvaises mœurs qui, s’il était condamné, le chassait de la