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L’armée d’occupation, insubordonnée, frondeuse, se dissipe et s’affaiblit. Le soldat voit ses chefs dans l’abondance, les civils dans le luxe, et ne vit que de ce qu’il arrache à un peuple aussi misérable que lui. Beaucoup sont las d’une guerre dont ils n’aperçoivent plus la fin, dont l’intérêt patriotique leur échappe. Les officiers passent de la profusion à la détresse, des privations de la guerre aux délices d’une vie « enchanteresse et corruptrice », selon le mot de l’un d’eux. Les fortunes qui se font et se défont sous leurs yeux les tentent, s’ils sont faibles. Ils ne s’indignent plus, ils deviennent sceptiques sur l’objet de la guerre, sur le commandement. La conquête refait d’eux une armée conquérante, vaillante dans le combat, indisciplinée, licencieuse dans la trêve. Ils s’habituent à mépriser les peuples soumis ; les galanteries dont ils profitent ajoutent encore à ce mépris pour les vaincus. Mais cette nation aux mœurs faciles est en même temps féroce, et il faut à tout instant quitter les plaisirs de Rome, en carnaval de révolution, pour aller, au milieu des embuscades, poursuivre des insurgés dans la montagne, où l’on ne peut s’endormir sans crainte d’être assassiné, boire sans crainte d’être empoisonné ; où il faut pendre, brûler, laisser partout, en traces sanglantes, des exemples terrifians.

Les paysans se rassemblent dans les églises, s’exaltent, s’enrégimentent avec les braconniers, les contrebandiers, brigands de la veille qui se réveillent patriotes. On arrache les arbres de la liberté ; on les remplace par des croix ; on court sus aux Français au cri de : Vive le Christ, vive le pape et l’empereur ! Cette guerre, qui durera jusqu’à la catastrophe finale de la France en Italie, commence dans le Trasimène en avril 1798, exténuant, décimant, décourageant et démoralisant l’armée par l’alerte continuelle, l’insécurité sans terme, la nécessité, puis l’habitude de la répression atroce. Ainsi s’écroule cette république à peine échafaudée. La France en a tiré quelque argent, mais elle s’épuise à la maintenir : c’est un poste avancé de plus à occuper, à défendre, à la fois contre le voisin et contre l’habitant.

Cependant ces Romains anarchiques se répandent en propagande, et leurs émissaires vont animer les républicains de Naples. Mais, en même temps que la révolution à la française, la révolte contre la France et sa révolution gagnent les campagnes napolitaines. Les paysans des Abruzzes, rapporte Thiébault, « étaient aussi napolitains que romains, et leur haine était portée