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Directeurs ne sortirent jamais de cette impasse, et leur intelligence ne débrouilla jamais ces contradictions.

Vainement essaya-t-on de museler ces Italiens voraces, d’empêcher les fusions de républiques. Vainement Talleyrand, aussi clairvoyant pour l’avenir qu’impuissant dans le présent, déclara au Directoire : « L’intérêt de la République est surtout de rendre nuls tous les efforts qui pourraient tendre à réunir les républiques italiennes en une seule, et comme il n’est pas douteux qu’il existe un parti violemment rempli de ce dessein, les agens de la République ont ordre de le combattre... Cette république deviendrait trop puissante pour que la France n’eût pas à redouter qu’elle oubliât bientôt le bienfait de sa création et qu’elle voulût rivaliser avec la république mère. Il y a longtemps qu’on a dit que la reconnaissance n’est pas la vertu des peuples... Nous devons nous garder de faire des ingrats trop puissans... » Talleyrand apercevait déjà cette république italienne, devenue notre rivale dans la Méditerranée, cherchant à s’affranchir de notre tutelle, et l’Autriche « ayant le bon esprit de lui offrir son alliance sous le prétexte de la protéger contre notre ambition... mais, en effet, pour se ménager les moyens de l’asservir ou du moins de l’influencer à son tour[1]. » Il omettait de conclure ; mais la conclusion était qu’un État jaloux de ses intérêts, ambitieux de suprématie, ne doit point mettre sa gloire et sa politique à des entreprises qui ne peuvent réussir que si elles sont désintéressées ; qui conduisent presque fatalement à la déception du libérateur, à l’ingratitude de l’affranchi ; dont le seul avantage, la reconnaissance, s’évanouit à l’instant même qu’on le réclame, ou seulement qu’on paraît avoir le droit d’y compter.

En attendant, ces républiques s’épuisent entre les mains des généraux et des commissaires civils français. Le Directoire n’a plus sur les uns et sur les autres ni action ni crédit. Les généraux et les commissaires se disputent les dépouilles de la conquête et se dénoncent aux Directeurs. Le Directoire les destitue, les remplace par d’autres qui ne valent pas mieux, les envoie ailleurs où ils font de même ; il multiplie les espions et les contrôleurs ; rien ne prévaut sur l’insubordination des généraux, sur l’intrigue des commissaires, sur l’avidité de tous. S’ils s’appuient, comme Brune à Milan, sur le parti jacobin, ils passent à Paris pour

  1. Rapport au Directoire, 2 juillet 1798 ; Pallain, p. 327-8.