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en faveur dans les nouvelles écoles. Verlaine dans son Art poétique les recommande pour l’indécision de leur rythme dont on peut, en la combinant avec l’impropriété des termes, tirer d’heureux effets. Or, le vers de sept syllabes est d’un usage fréquent dans notre poésie. Les vers de neuf et de onze sont beaucoup plus rares ; Malherbe a pourtant composé une chanson délicieuse et fameuse en vers de neuf. L’alexandrin à rime féminine est en réalité de treize syllabes. Baïf, l’inventeur du vers baïfin, l’introducteur des comparatifs à la mode antique, le docte, doctieur et doctime Baïf, Baïf le pédant de la Pléiade, s’est plu jadis à composer une suite de trois cents vers de quinze syllabes. Ici encore les novateurs ont des références. Les vers impairs sont boiteux de naissance : c’est ce qui probablement les empêchera toujours de fournir une ample carrière. Que d’ailleurs, s’ils le veulent et s’ils le peuvent, les chercheurs de nouveau tirent de cette boiterie des effets peut-être charmans et des harmonies insoupçonnées ; c’est un droit que nul ne songe à leur contester.

Reste la question du mélange des rythmes et des rimes, qui est la question même du vers libre. Après Corneille, après Molière, après La Fontaine, il ne devait pas être facile d’ « inventer » le vers libre. M. Gustave Kahn est venu à bout de cette invention : cela valait bien que ses amis lui décernassent l’honneur, hélas ! chaque jour plus banal, d’un banquet. C’est donc auprès de lui qu’il convient de se renseigner. Écoutons avec attention et docilité. « Le vers libre au lieu d’être comme l’ancien vers des lignes de prose coupées par des rimes régulières doit exister en lui-même par des allitérations de voyelles et de consonnes parentes. La strophe est engendrée par son premier vers, le plus important en son évolution verbale. L’évolution de l’idée génératrice de la strophe crée le poème particulier ou chapitre en vers d’un poème en vers. » Pour le cas où cette définition paraîtrait un peu obscure, et laissant encore dans l’esprit quelque incertitude, des exemples pourront servir à l’illustrer. Voici une strophe des Palais nomades :


Tes bras sont l’asyle
Et tes lèvres le parvis
Où s’éventèrent les parfums et les couleurs des fleurs et des fruits,
Et ta voix la synagogue
D’immuables analogies
Et ton front la mort où vogue
L’éternelle pâleur
Et les vaisseaux aux pilotes morts des temps défunts.
Tes rides légères le sillage gracile
Des âges aux récifs difficiles