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REVUE LITTÉRAIRE

LA QUESTION DU VERS LIBRE[1]

Depuis des années qui commencent à se faire longues, les poètes nous ont donné peu d’œuvres dignes de ce nom. Il y aurait de la cruauté à le leur reprocher, car ils n’y mettent pas de malice, et ils seraient les premiers à souhaiter d’avoir une imagination plus riche, une sensibilité plus vive, une fantaisie plus originale. Cette indigence passagère n’a d’ailleurs rien d’anormal ni de surprenant. Nous nous figurons volontiers, en voyant les choses à distance, que les genres littéraires produisent à travers les siècles des suites ininterrompues de chefs-d’œuvre. C’est une illusion. En fait, les momens de production sont séparés par des intervalles, non pas à vrai dire de stérilité, mais plutôt de jachère, pendant lesquels la terre se refait et la sève se renouvelle. Soupçonnant que nous pourrions être dans une de ces périodes intermédiaires et afin de ne pas déranger le sourd travail de la nature, les poètes qui se disent novateurs dirigent leur activité réformatrice dans un sens un peu spécial. Ils se tournent vers les questions de métrique. S’ils ne peuvent être les artistes qui moduleront les mélodies espérées, au moins veulent-ils être les luthiers habiles qui auront perfectionné l’instrument, rajusté ses cordes, rendu sa sonorité plus étendue et plus délicate. De là tant de discussions

  1. Vigié Lecoq, LaPoésie contemporaine (Mercure de France). Adolphe Boschot, La Crise poétique (Perrin). — Cf. Les traités de Quicherat, Becq de Fouquières, Tobler. Sully Prudhomme : Réflexions sur l’art des vers (Lemerre). Robert de Souza : Le Rythme poétique (Perrin). Le Goffic et Thieulin : Nouveau Traité de versification française (Masson). Georges Pellissier : Traité théorique et historique de versification française (Garnier).