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Français, ont été subordonnés à un pouvoir presque absolu, tenus à l’écart de la chose publique ; leur unité s’est faite au prix de leur indépendance. Un pli si ancien ne s’efface pas en vingt-cinq ans et il ne suffit pas que nous ayons conquis la liberté pour savoir comment nous conduire. Nous n’avons pas encore appris à nous servir à nous-mêmes de guides, et l’habitude d’être menés aboutit à l’indifférence politique, au dédain des intérêts généraux. Combien d’entre nous croient pouvoir impunément s’absorber dans leurs préoccupations personnelles ou dans la poursuite d’un labeur quotidien ! et ce sont les plus riches, les plus éclairés qui donnent l’exemple de cette abdication : ils se piquent de mépriser ce qu’ils appellent la politique, c’est-à-dire la direction de leurs affaires ; et ils se plaignent d’être mal gouvernés. Ils ignorent également ce qui se passe à l’étranger et continuent de vivre à la fin du XIXe siècle, sous l’empire d’habitudes antérieures à la découverte de la vapeur.

Les livres, il est vrai, pourraient nous renseigner, mais on ne les lit pas assez ; on lit le journal. Les journaux français sont trop nombreux ; il y en a plus de sept mille. A l’exception de quelques organes politiques ou techniques et des revues spéciales, la plupart d’entre eux sont réduits par une concurrence acharnée à flatter nos instincts casaniers, nos faiblesses, et à nous entretenir précisément de ce qu’ils devraient nous faire oublier. Sensibles aux petites choses, indifférens aux grandes, ils dégénèrent ainsi on gazettes locales, parisiennes plus que françaises, boulevardières plus que parisiennes, et nous tiennent attachés au sol où nous végétons. Les journaux anglais, moins nombreux, sont plus riches, plus indépendans et par suite peuvent négliger les exigences particulières des lecteurs, pour faire une place plus large aux intérêts du pays. On y trouve moins de talent que dans les nôtres, mais plus d’informations sur les progrès du monde ; et il en est de même dans beaucoup de journaux allemands.

À défaut de la presse qui ne remplit pas son rôle d’éducatrice, à défaut de l’État, engourdi lui-même dans l’apathie générale et prisonnier de traditions invétérées que tout un peuple de fonctionnaires et de solliciteurs travaille à perpétuer, qui donc nous ouvrira les yeux ? Devrons-nous répéter une fois de plus que la France n’obéit qu’à l’enseignement des catastrophes !

La science, elle aussi, pourrait nous servir, comme elle a servi nos rivaux, et nous sauver ; mais chez ces rivaux tout favorise