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on est frappé des vides énormes qui s’y trouvent. Comment penser que, dans l’amas des ruines, il ne reste de reconnaissable qu’un long portique et que deux temples ! Il y avait là, certainement, bien des lacunes à combler. Et puis quel était, en réalité, le caractère de cette architecture ? Etait-elle semblable à celle de Balbeck, qui est mieux connue ? Mais les gravures de Wood semblaient indiquer un style plus nerveux. La constatation de ce fait, pour qui connaît le mouvement des études architectoniques depuis le commencement du siècle, a beaucoup d’importance. Nos maîtres, après s’être occupés, de préférence, des dispositions générales qu’offrent les monumens antiques, ont cherché à fixer la physionomie particulière de chacun d’eux et à en établir ainsi la date et la perfection relative. Duban et ses amis, on ne saurait trop leur en faire honneur, furent les premiers à dégager ces conditions délicates, et ils imprimèrent à l’école une direction dans laquelle elle s’avance encore. A leur suite et dans leur esprit, M. Bertone, aussi, a voulu faire une œuvre. Passionné pour son art, infatigable au travail, dessinant avec précision et finesse, il réunissait toutes les qualités qui assurent le succès. Il arrêta donc ses vues sur Palmyre. Mais aller jusque-là est une chose difficile et non sans danger. Le déplacement et le séjour sont dispendieux. Or le budget de l’Académie ne prévoit que 800 francs pour le voyage de l’architecte hors de l’Italie et une faible somme pour les fouilles. Le directeur des Beaux-Arts prévenu accorda, sur ses ressources très modiques, une subvention de 1 000 francs. Mais cela était loin de suffire. M. Bertone n’hésita point : il vendit tout ce qu’il possédait pour réaliser son projet. En rentrant en France, il ne retrouvera plus la maisonnette, le petit jardin, les souvenirs de famille que son père lui avait laissés. Il en a fait le sacrifice. Je l’offenserais en insistant sur le mérite d’une telle action ; elle honore sa vie. Mais à ce prix, son voyage devenait possible et il oubliait tout le reste. Il était heureux ; il pouvait partir.

C’était une grande responsabilité pour le directeur de l’Académie d’autoriser une exploration aussi lointaine, de laisser le jeune artiste s’exposer, sous un ciel brûlant, aux hasards d’un long voyage dans le désert. Palmyre est à 350 kilomètres de Damas. M. Bertone ne pouvait partir seul. Mais, de ce côté aussi, il avait fait le nécessaire. Un peintre syrien, M. Mourani, et un aide éprouvé, M. Vizzavona, tous deux alors à Borne, consentaient à