Page:Revue des Deux Mondes - 1897 - tome 142.djvu/375

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des trucs habiles et prudens, dont il n’a pas plus fait mystère que des autres. Il a même pris un plaisir malicieux à démonter sous nos yeux l’un de ses « effets » les plus célèbres, celui du petit poème appelé le Corbeau, et à dévoiler comment il en était arrivé de fil en aiguille, sans l’avoir prémédité, à créer l’impression de surnaturel dont frissonnent les personnes nerveuses. Poe n’a rien écrit de plus instructif sur les côtés artificiels de son œuvre que la Genèse d’un poème, rien aussi de plus imprudent ; il casse notre joujou pour nous montrer ce qu’il y a dedans. Bien que le Corbeau soit dans toutes les mémoires, j’en citerai quelques strophes afin de faciliter les rapprochemens :

« Une fois, sur le minuit lugubre, pendant que je méditais, faible et fatigué, sur maint précieux et curieux volume d’une doctrine oubliée, pendant que je donnais de la tête, presque assoupi, soudain il se fit un tapotement, comme de quelqu’un frappant doucement, frappant à la porte de ma chambre. C’est quelque visiteur, — murmurai-je, — qui frappe à la porte de ma chambre ; ce n’est que cela et rien de plus.

« Ah ! distinctement je me souviens que c’était dans le glacial décembre, et chaque tison brodait à son tour le plancher du reflet de son agonie. Ardemment je désirais le matin ; en vain, m’étais-je efforcé de tirer de mes livres un sursis à ma tristesse, ma tristesse pour ma Lénore perdue, pour la précieuse et rayonnante fille que les anges nomment Lénore, — et qu’ici on ne nommera jamais plus.

« Et le soyeux, triste et vague bruissement des rideaux pourprés me pénétrait, me remplissait de terreurs fantastiques, inconnues pour moi jusqu’à ce jour ; si bien qu’enfin, pour apaiser le battement de mon cœur, je me dressai, répétant : C’est quelque visiteur qui sollicite l’entrée à la porte de ma chambre, quelque visiteur attardé sollicitant l’entrée à la porte de ma chambre ; — c’est cela même et rien de plus.

………………………………….

« Je poussai alors le volet, et, avec un tumultueux battement d’ailes, entra un majestueux corbeau digne des anciens jours. Il ne fit pas la moindre révérence, il ne s’arrêta pas, il n’hésita pas une minute ; mais, avec la mine d’un lord ou d’une lady, il se percha au-dessus de la porte de ma chambre : — il se percha, s’installa, et rien de plus.

« Alors cet oiseau d’ébène, par la gravité de son maintien et