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La reine régente, le roi don Alphonse XIII, les princesses, ses sœurs, et l’infante Isabelle, sa tante, se seraient mis à une fenêtre pour le regarder partir par la Plaza de Oriente, et lui, debout dans sa voiture, au milieu de la foule, aurait agité son panache, en criant : « Vive la reine ! Vive le roi ! »

Et quand il l’aurait fait ? Et quand ils s’y seraient complu ? Hors de Madrid et du petit cercle où s’élabore la politique espagnole, l’importance de la démonstration échappe ; mais à Madrid, dans les antichambres du Palais, dans les couloirs du Parlement, le soir, dans les cafés, les clubs et les tertulias, ce fut tout un événement. Il fallut que la Régente priât M. Canovas d’expliquer que sa présence à la fenêtre n’était que cas fortuit ; que cette fenêtre, le petit roi l’avait ouverte en jouant, que ses sœurs l’y avaient suivi, que l’infante Isabelle avait suivi ses nièces, qu’elle-même avait suivi l’infante ; mais qu’il y avait, à ce moment, trois quarts d’heure qu’elle avait congédié le général Polavieja et qu’elle le croyait bien loin. — O misère des petits rois qui jouent, et des reines qui, se souvenant trop qu’elles sont mères, oublient une minute que par une fenêtre ouverte dans un palais royal, on ne sait jamais, en notre temps, quelles fidélités peuvent sortir, ni quels malheurs peuvent entrer !

C’est en cet état des esprits que les Chambres se réunirent le 20 mai :


Une heure après, Ruy Diaz avait tué le Comte,


on veut dire que le duc de Tetuan, ministre des affaires étrangères, avait souffleté le sénateur libéral, M. Comas. M. Sagasta relevait l’injure ; tout le parti « se retirait », faisait le vide autour du gouvernement et de sa majorité, retournait à la tactique révolutionnaire, ouvrait la crise la plus grave que l’Espagne ait traversée depuis la restauration, compromettait dix-huit ou vingt ans de sagesse ; tandis que M. Canovas faisait voter en hâte les projets urgens, expédiait l’interpellation de M. Romero Robledo sur la révolte des Philippines[1], prorogeait le Parlement et

  1. Cette interpellation avait pour objet principal les confiscations de biens ordonnées par Polavieja. On a accusé le général d’avoir, dans la répression, montré une vraie dureté ; il semble tout au moins qu’elle ait été très sévère. Mais que faut-il retenir des récits suivant lesquels la mort même, dans plus d’un cas. aurait été précédée de la torture ? (Récit du métis Tung-Tao rapporté par M. de Varigny et M. Tarrida, p. 314 et suiv.) On n’en croirait rien, si l’on ne savait trop avec quelle sauvagerie ces races non civilisées se conduisent, — voyez le récit même, de Tung-Tao : — « Les moines furent pendus ou noyés, mort douce à tout prendre. Seul le confesseur de la vieille fut découpé en morceaux. » — Tarrida, p. 315), et avec quelle rapidité les civilisés, fût-ce en des jours et des régions plus calmes, retournent à la sauvagerie.
    Tous les « coloniaux » de bonne foi l’avoueront. Allemands, Anglais, Français ou Espagnols. Et nous ne disons pas qu’il en soit ni qu’il en puisse être autrement, mais qu’il n’y a pas de quoi être si tiers de la civilisation, ni, en général, de l’humanité.