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gouvernement est, en conséquence, de répondre à l’état social et aussi à l’état mental du peuple pour qui il prétend être fait. Dans la condition des Philippines, que leur fallait-il ? Un despotisme éclairé, le bon tyran : Pierre le Grand, Frédéric II ou Charles III. Que leur envoyons-nous ? Des moines d’abord, et qui sont insatiables, qui sans cesse importunent la reine : « Madame, que Votre Majesté veuille bien nous donner ceci et, par grâce, y ajouter cela ! » — elles ont trouvé le moyen, les missions des Philippines, de se faire loger à l’Escurial ! — Et puis, après les moines, les maçons ; et par là-dessus, un régime militaire : des généraux qui sont tantôt les serviteurs des frères, tantôt les compagnons de la secte et qui, selon qu’ils sont l’un ou l’autre, favorisent outrageusement ou les ordres ou les loges.

« Cependant, la colonie est tiraillée d’un camp à l’autre camp et d’un système au système opposé, gouvernée et administrée en partie par des lois trop jeunes, en partie par des mœurs trop vieilles. Au lieu de ces capitaines généraux, incapables pour la plupart de comprendre leur rôle politique, que n’expédie-t-on à Manille un homme ayant le sens et la pratique des affaires d’Etat, qui instaurerait un gouvernement, civil et laïque, mais dont les élémens seraient combinés et dosés d’après le caractère, l’intelligence et le degré d’éducation du sujet ? »

Mon interlocuteur me laissa sur ces paroles, obsédé par la pensée de l’étrange chose que peut être — ou que serait, s’il avait réellement une vie publique — la vie publique de ce peuple de francs-maçons de toutes races et de toutes couleurs, maintenu militairement sous la domination, la tutelle, l’autorité non limitée au spirituel, de moines de toutes règles et de toutes robes.


I

On sait que les îles dont se compose l’archipel des Philippines sont presque innombrables : dix-huit à vingt grandes ou assez grandes, et environ deux mille petites ou toutes petites[1].

  1. D’après Las colonias españolas de Asia, Islas Filipinas, por el teniente-coronel Manuel Scheidnagel ; Madrid, 1880. — Cfr. El Archipiélago filipino y las islas Marianas, Carolinas y Palaos, por don José Montero y Vidal ; Madrid, 1886. Ce dernier ouvrage parle de 1 400 îles seulement : il est probable que le colonel Scheidnagel appelle « des îles » ce que M. Montero y Vidal ne considère que comme des rochers. — La Revue s’est souvent occupée des îles Philippines. Voyez, entre autres travaux, les études de MM. Th. Aube, 1er mai 1848, Jurien de la Gravière, 15 juillet 1852, C. Lavollée, 15 juin 1860, Radau, 1er février ; et le duc d’Alençon, 15 mai 1870, Edm. Plauchut, 15 mars, 16 avril et 15 juin 1877, G. de Varigny, 15 janvier 1888. Aussi nous plaçons-nous ici au point de vue plus particulier des relations de la colonie avec la métropole.