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invective, en français de Gascogne, cette « populace frénétique » ; il menace de sabrer « cette canaille. » Mais la « canaille » est ignorante ; elle n’entend pas le français ; elle se moque, elle s’emporte, et, comme la police demeure inerte, le drapeau est arraché, promené par les rues, déchiqueté, brûlé. Les émeutiers accourent de toutes parts, forcent les portes de l’hôtel, obligent Bernadotte et ses invités à se réfugier au second étage où ils se barricadent. Les domestiques font feu sur les assaillans et couchent à terre quelques Viennois. Enfin la troupe arrive ; la nuit tombe et l’attroupement se disperse. Bernadotte réclame une réparation solennelle. Thugut en offre une très modeste. Bernadotte exige le rétablissement du drapeau ; Thugut ne consent qu’à écrire une lettre. Cependant l’agitation se répand dans Vienne. On redoute une insurrection. Bernadotte se décide à partir, et s’en va, le 15 avril, crânement, du reste, en plein midi, à travers la ville, mais sans courir grand péril, car pour contenir le peuple, les soldats autrichiens font la haie sur le passage des voitures.

Si l’on voulait la guerre, on en avait trouvé le prétexte. Mais on n’y était prêt ni à Vienne, ni à Paris, ni à Pétersbourg, ni à Londres, et tout le monde, y compris Bonaparte, avait intérêt à l’ajourner.


ALBERT SOREL.