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amuser le tapis. Thugut, d’ailleurs se sent fatigué et veut se décharger, en partie, du fardeau. Il fait désigner Cobenzl pour suivre les affaires étrangères à Vienne et il rappelle, le 8 avril, de Rastadt, cet ambassadeur qui, seul, des diplomates impériaux, avait son secret. Le Congrès ne fut plus qu’un solennel divertissement d’entr’acte, et l’on ne s’occupa plus, à Vienne, qu’à détruire ce qui y avait été commencé. « Depuis cette époque », dit un mémoire des Affaires étrangères, c’est-à-dire depuis l’affaire de Rome, « les négociations du Congrès dégénérèrent en vains débats, au moyen desquels on gagnait du temps ; ce furent les ministres impériaux qui ne cessèrent de les entraver ; la Prusse qui, sans partager la mauvaise volonté du cabinet de Vienne, ne voyait pas non plus avec plaisir les nouvelles révolutions que nous avions opérées, ne fit rien pour accélérer les négociations du Congrès et pour les conduire à un résultat heureux… »

Sur ces entrefaites, un incident faillit faire sauter les mines, avant que les Autrichiens fussent en mesure de commencer l’attaque. Bernadotte était à Vienne depuis le 18 février : brouillon, bourdonnant, panaché, avantageux, exigeant jusqu’aux minuties sur l’étiquette et affectant avec la cour le sans-façon hautain et cavalier du soldat démocrate ; traitant Thugut en pensionné des fonds secrets du roi de France ; cabalant bruyamment, en son ambassade, avec les mécontens et les turbulens d’Allemagne et de Pologne ; prédisant qu’avant la fin du siècle, tous les porteurs de cordons « feraient nombre avec les citoyens » et ne prévoyant pas, malgré son génie gascon, qu’après s’être chamarré plus que personne de ces cordons, il en distribuerait à son tour et ferait nombre avec les potentats. Il démêla, non sans adresse, les trames qui se nouaient entre Vienne et Pétersbourg, mais il se sentit très vite las de son personnage de parade et des avanies qu’il avalait majestueusement avec son imperturbable hâblerie. Il préférait alors à la politique « le fracas et le tumulte des camps. » Il demandait son rappel ; il eut son congé. Ce fut le peuple de Vienne qui le lui signifia, aussi rétif au prestige de la république et à sa propagande que le peuple de Rome.

Le 13 avril, vers le soir, Bernadotte fit arborer au-dessus de la porte de son hôtel un grand drapeau tricolore, avec la devise : Liberté, Égalité, Fraternité. La foule s’assemble aussitôt, pousse des huées, réclame l’enlèvement du drapeau. Bernadotte avait du monde à dîner, il était en grande tenue ; il sort, apostrophe,