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homme, quoique chagrin. C’est Treilhard qui parle, agit, écrit, mène les affaires. Parti de Paris avec les préjugés du Directoire, il a vite mesuré les gens, et il se rend à la réalité des choses. Il comprend quelle sottise ferait la République en comblant les princes d’Allemagne de terres et de sujets, sous le prétexte de porter dans l’Empire les lumières de la raison. « Si nous pouvons avoir la rive gauche, écrit-il au Directoire, nous aurons fait pour la République tout ce que désirent les hommes les plus exigeans, et lorsqu’on aura sécularisé ce qui est nécessaire pour les indemnités, je m’embarrasserai fort peu qu’il reste des princes ecclésiastiques dans l’Empire. »

Bonaparte, à peine arrivé à Paris, tient le même langage. Le Directoire demeure entêté de sa réforme germanique et de la diffusion de ses lumières en Allemagne, mais il se rend à la nécessité : il renonce à la sécularisation totale, à l’empire alternatif, et il prescrit à ses envoyés de réclamer, dès l’abord et directement, la cession totale de la rive gauche.

Il est temps de mettre les fers au feu. Metternich, le commissaire impérial, est arrivé le 2 décembre, accompagné de son fils, Clément, le futur partenaire de Napoléon. Le père paraît aux Français fier, froid, impertinent. Au contraire Albini, délégué de Mayence, qui préside la députation de l’Empire, leur offre un exemplaire accompli de « bon Allemand », phraseur, procédurier, onctueux, doux et finaud, gémisseur, mais subtil, brouillon dans les affaires des autres, conséquent dans celles de son prince, toujours ballotté entre les extrêmes, tant qu’il cherche les principes, mais retrouvant son assiette dès qu’il s’agit de gagner ou simplement de moins perdre.

On commença, comme toujours, par disputer sur le caractère, la forme, l’étendue des pouvoirs. Le fait est que si les Allemands en avaient produit qui les autorisassent à céder la rive gauche, la négociation eût été singulièrement simplifiée. C’est justement ce que Treilhard exige, en termes catégoriques. Albini balbutie : « Dans la suite, — on en demandera. — Vous n’en avez donc pas ; nous ne pouvons donc pas traiter, puisqu’il faudra, de votre aveu, de nouveaux pouvoirs. Commencez donc par les demander. » Les Français se renferment dans la déclaration du Directoire : la République ne fera la paix qu’avec la limite du Rhin. Les Allemands se retranchent dans la déclaration de l’Empereur : la paix se traitera sur le principe de l’intégrité de l’Empire.