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diplomates avec la supériorité du vainqueur. Vêtu richement, contrairement à son habitude, mais portant l’uniforme avec négligence ; exigeant sur l’étiquette et ne cachant pas le mépris qu’il en faisait. le dos à la cheminée, il causait avec abandon, au milieu du cercle qui se formait autour de lui, et tout, comme dans les cours, se taisait pour l’écouter. Il ménageait, il caressait, il effrayait aussi. Fersen, le ci-devant Fersen de Trianon, le doux et vaillant Suédois, le « chevalier au Cygne » de Marie-Antoinette, survivant à son propre roman, disgracié de l’héroïsme et naufragé dans la diplomatie, était venu représenter la Suède. Il essuya une effroyable algarade. Les ministres des princes ecclésiastiques ne furent guère mieux traités. Il fallait les préparer à la mort civile qui les menaçait. Pour justifier leur ruine, Bonaparte déclara que leur existence était sans raison d’être. Le baron de Stadion s’était présenté en costume de chanoine de Wurtzbourg, Bonaparte l’apostropha : « Les évêques allemands sont à la fois des ecclésiastiques et des guerriers ? Comment ces titres peuvent-ils s’accommoder ? Comment les fondent-ils sur l’Evangile ? Ils parlent du royaume du ciel, mais leurs richesses leur en ferment les portes. Ignorent-ils que l’Evangile dit que les riches n’entreront pas au royaume de Dieu ? » Il disputait sur la bulle d’or et la constitution de l’Empire, utilisant avec sa mémoire impeccable et une dextérité merveilleuse d’artiste politique, les notes qu’il avait prises dans ses lectures décousues de garnison. Il dit au professeur Martens de Gœttingue, conseiller de la légation de Hanovre : « Je crois bien que les savans ne tarderont pas à modifier la carte. Les petits souverains qui s’attachent tantôt à l’Autriche, tantôt à la Prusse, devraient sentir que la France est leur protecteur naturel. » Ce sont les vues et propos qu’il reprit en 1803 et en 1806, lors de la grande refonte de l’Empire et lors de la Confédération du Rhin.

Ces entretiens trompaient son impatience. Enfin le 28, c ces ganaches de plénipotentiaires de l’Empereur », Lehrbach et Cobenzl arrivèrent. Le commissaire impérial, Metternich, manquait encore ; mais Bonaparte n’avait pas besoin de lui pour régler le premier chapitre, préliminaire essentiel de la négociation. Le 1er décembre, il convint avec les Autrichiens, qu’avant le 8, l’Empereur notifierait à ses co-Etats son intention de rappeler ses troupes du territoire de l’Empire ; que, le 10, les Français investiraient Mayence ; que, le 25, cette place leur serait remise par les