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de son rôle. Peut-être, autrefois, a-t-on été tenté de le réduire, et peut-être, aujourd’hui, est-on tenté de le grossir plus que de raison. Mais certainement ce rôle a été considérable, et il l’est devenu toujours davantage à mesure que l’autorité de la souveraine s’augmentait de ce surcroit de prestige que donne la durée. La reine Victoria n’était pas à l’origine ce qu’elle est devenue depuis qu’elle est doyenne des rois du monde entier, et que ses enfans, petits-enfans, arrière-petits-enfans, sont répandus sur les trônes ou autour des trônes de toute l’Europe. La lumière qui s’attache aux patriarches lui sert d’auréole. Elle est le symbole même de la monarchie traditionnelle, sous sa forme la plus solide et en même temps la plus bienveillante et la plus douce. Elle le doit au temps qui, peu à peu, l’a consacrée, et aussi à ses qualités propres qui ont facilité l’œuvre naturelle du temps. Son ferme bon sens, son esprit vraiment politique, son intelligence des plus grandes affaires, la discrétion qu’elle a mise à les traiter sans froisser personne autour d’elle, en laissant à ses ministres leur pleine liberté et en s’inspirant toujours de l’opinion générale, son application que rien n’a lassée, son aptitude au travail que rien n’a fatiguée, en font la figure, sinon la plus éclatante, du moins la plus haute du moment de l’histoire où nous sommes. Si on ajoute à cela que les vertus de la femme ont été égales aux mérites de la souveraine, et qu’on ne saurait relever dans sa vie aucune défaillance, de même qu’il serait difficile de trouver dans son règne une seule faute grave, il faut bien reconnaître, à quelque pays qu’on appartienne, qu’il y a là quelque chose de très noble et de très grand. L’Angleterre a le droit de manifester de l’enthousiasme : les autres nations doivent éprouver du respect. Nous n’avons à établir ici aucune comparaison, aucun parallèle. La grandeur politique, de même que la grandeur morale, peuvent prendre des formes très différentes ; elles subsistent dans le malheur, quand il est courageusement supporté ; et la patrie, comme une personne infiniment chère, peut le devenir encore davantage lorsqu’elle a été cruellement frappée et mutilée. Il y a, sans doute, quelque chose d’imposant dans cette fixité des institutions britanniques, et dans ces règles de conduite que tout le monde observe et auxquelles la Reine s’est toujours la première conformée, bien qu’elles ne soient écrites nulle part. Elles sont gravées dans les esprits, dans les cœurs, dans les mœurs. Plus que personne, après les agitations que nous avons traversées au cours de ce siècle et qui ont été si souvent stériles, pour ne rien dire de plus ; après avoir essayé toutes les formes de constitutions connues ; après être passés de l’une à l’autre avec une regrettable mobilité ; après