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modelées de ses grisailles poétiques ont quelque peine à se rejoindre dans le brouillard fin dont il les enveloppe. En revanche, dans une belle vision religieuse, le Christ en Croix, où il ne se départ, en rien, du reste, de son système de vaporisation, il nous donne du moins la satisfaction d’entrevoir, sinon de voir, le cadavre de Jésus, et sa tête douloureuse, modelés d’un bout à l’autre avec science et sensibilité. Combien de temps, avec la rapidité qu’apporte l’âge à obscurcir les peintures, nos successeurs pourront-ils apprécier toutes ces délicatesses ? Je m’imagine qu’à cet égard les vaporisans commencent à se défier de l’avenir, car je remarque que beaucoup d’entre eux s’efforcent de donner plus de corps à leur peinture. Si cette évolution est déjà sensible chez M. Berton, dans quelques-unes de ses aimables fantaisies, on la voit toute accomplie chez M. Prinet qui va maintenant prendre des consultations chez Chardin et chez Velasquez et qui s’en trouve bien. Son Atelier de jeunes filles est une transposition en style contemporain, familier et parisien, de la fameuse toile de Madrid, las Hilanderas. On sent d’où cela vient ; mais la réminiscence est personnelle, spirituelle et vive. M. Muenier, de son côté, sentant ce qu’il y avait d’un peu pointillé et d’un peu sec dans ses analyses pointilleuses, élargit et fortifie ses procédés. Les Chemineaux, arrêtés au soleil couchant, après une journée de rude marche, devant un étang, vers lequel le plus jeune se penche pour y puiser avec son écuelle, tandis que le plus âgé, un robuste et beau gaillard, en attendant, aspire à pleins poumons, dans sa large poitrine, la fraîcheur du soir, est la meilleure de ses peintures populaires. Les frissons de l’eau, le fourmillement des végétations, les vibrations du ciel, s’y associent heureusement aux deux figures, pour donner l’impression voulue, impression de calme dans la nature, de vigueur et de fatigue chez les voyageurs. M. Muenier, ami de M. Dagnan, suit avec raison son exemple ; s’ils se souviennent d’où est parti le peintre du Pain bénit, des Conscrits, de la Cène, tous les jeunes artistes doivent se dire qu’avec la volonté persistante et méthodique, on arrive à tout. C’est encore à force de réflexion et de volonté que M. David-Nillet dont les études plébéiennes ont toujours paru si sincères, mais qui se débattait péniblement dans les procédés très particuliers, partant très périlleux, de son maître, M. Lhermitte, a conquis une manière plus ferme et plus forte, plus large et plus simple. Son Laboureur et ses enfans, présenté en plus grandes dimensions, dans un style plus