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hâtivement les regards ou ne savent point assez longtemps les retenir.

Ce serait pourtant une grande injustice de ne point reconnaître le talent qu’il a fallu à MM. Gervex, Fourié, J.-J. Rousseau, James Tissot pour mener à bien les vastes toiles où ils ont représenté des épisodes de la vie contemporaine. La distribution des récompenses au Palais de l’Industrie, en 1889, à la suite de F Exposition universelle, devait être, pour M. Gervex, l’occasion de développer sur un plus vaste champ cette entente agréable et facile des éclairages clairs et joyeux, des colorations harmonieuses et douces en même temps que ce vif esprit d’observation, qui ont fait de lui un des peintres les plus justement aimés, avec ce pauvre Duoz, de la vie parisienne. De fait, il n’a point failli à sa tâche en ce qui concerne la répartition et le jeu des couleurs dans la troublante clarté d’une perspective géométrique et uniforme. Le groupe des Algériens en brillans costumes, qui occupe le devant et le centre du tableau, répand une joie délicate et inattendue entre les rangs monotones d’habits noirs étages, à gaucho, sur l’estrade officielle et bordant, en bas, l’espace vide où défilent les lauréats. M. Gervex a nuancé, avec une grande finesse de pinceau, toute cette accumulation centrale de nuances légères et attendries, mais dans un si grand espace, peut-être fallait-il des sonorités plus hardies, plus triomphantes, plus brutales. Ce qui lui manque donc encore là, dans les parties les plus réussies, c’est la constance d’une énergie résolue et dominatrice, de cette énergie dans l’accent des formes et dans le parti pris coloré qui, dans des cas pareils, doit emporter tout, l’énergie de David ou de Gros, de Géricault ou de Delacroix. Quoi qu’il en soit, cette toile, pleine de portraits, restera comme un des plus intéressans souvenirs du palais disparu de l’Industrie et de ses cérémonies officielles.

La disproportion entre l’ampleur des toiles, la grandeur des figures et les timidités ou les insuffisances de l’exécution n’est point sauvée, chez MM. Rousseau et Fourié, par cet agrément et cette dextérité qui souvent, chez M. Gervex, tiennent presque lieu de gravité et de profondeur. Tous deux, d’ailleurs, sont convaincus, et laborieux ; ils observent avec esprit et sympathie, ils saisissent souvent le mouvement juste et le caractère typique ; il leur suffirait de pousser plus à fond, d’accentuer avec plus de hardiesse, dans une matière plus ferme et plus riche, les effets pressentis pour faire de bonnes peintures. La Soupe aux Halles, le