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combinaison mieux établie de lignes et de masses, nous pourrons saluer peut-être, comme nous le désirons, dans cet ouvrage héroïque, le chef-d’œuvre définitif que les amis du sculpteur nous annoncent depuis un certain temps ; jusque-là, nous sommes bien forcés de nous en tenir à des espérances, comme il s’en tient lui-même à des promesses.

M. Dalou ne vise point à la succession, toujours ouverte, mais difficile à recueillir, et plus d’une fois compromise, du terrible Michel-Ange. Il s’en tient aux traditions françaises, qu’il connaît à merveille, les renouvelle et les ravive avec la décision simple et franche d’un artiste avisé et d’un praticien remarquable. Il y a déjà douze ans que le modèle du Triomphe de Silène parut au Salon de 1885, et l’on y admirait déjà avec quelle habileté et quelle verve le sculpteur avait su coordonner en un groupe décoratif très mouvementé et très vivant, dans des attitudes hardies et des mouvemens rapides, six figures nues, autour du vieux Silène ballottant sur un ânon qui rue. Par ces qualités de compositeur, provisoirement méprisées, qui comptent et compteront toujours parmi les meilleures de l’esprit français, lorsqu’il demeure docile à ses tendances naturelles, M. Dalou se rattache à la forte lignée de nos sculpteurs du XVIIe et du XVIIIe siècle. Il est leur fils par le soin qu’il apporte à préciser et à serrer les accens de la forme, il l’est encore par la finesse attentive avec laquelle il analyse une physionomie humaine. Les bustes en marbre de M. Cresson et de feu Armand Renaud, sont des modèles d’expression morale autant que d’exactitude physique. Il en va de M. Dalou, comme de MM. Falguière, Mercié, et bien d’autres ; ce sont, à l’occasion, les plus classiques qui sont les plus modernes.

Le soubassement en pierre du Monument aux Morts par M. Bartolomé, l’Ange descendant dans le caveau où gisent l’époux et l’épouse, la main dans la main, unis encore par le cadavre de l’enfant posé en travers sur leurs deux corps, réalise toutes les espérances qu’avait données le modèle en plâtre. C’est de la sculpture grave, franche, loyale, remontant vers une tradition française plus lointaine encore et plus simplement grande, celle du moyen âge. Un seul point, dans l’œuvre de M. Bartholomé, nous semble peu conforme à cette simple grandeur, la nudité complète de l’Ange ou du Génie de l’Immortalité ; si chaste qu’elle soit, cette nudité n’est-elle pas un reste d’habitudes scolaires et de préjugés plastiques ? Il est très difficile sans doute de recueillir à