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souvent, de bons ouvriers du marbre, de la pierre ou du bronze, toujours prêts à prendre leur part d’un travail collectif de décoration architecturale, ou à montrer leur savoir dans l’exécution honnête et expressive d’un buste. Aujourd’hui, le retour heureux, bien que trop lent encore, du goût public pour toutes les formes plus courantes et plus populaires, mais non moins estimables de l’art qu’on désigne sous le nom d’arts décoratifs, ouvre à tous les sculpteurs un champ nouveau de labeurs ingénieux et délicats où leur savoir et leur goût trouveront des occasions infinies de s’exercer et de se condenser en des créations plus variées. Au Champ-de-Mars comme aux Champs-Elysées, dans les sections, chaque année plus nombreuses, des objets d’art, nous voyons que les inventions les plus satisfaisantes et les innovations les plus heureuses sont précisément dues aux praticiens de tradition, aux plus consciencieux et aux plus savans, qui, comme tous leurs prédécesseurs des grandes époques de l’art, appliquent à la construction et à la décoration du plus insignifiant des objets usuels les mêmes principes de logique, de beauté, d’expression qui président à la confection d’une œuvre monumentale. C’est par la pratique prolongée de ces arts ingénieux où la fantaisie et la main, se trouvant, à la fois, plus libres, s’enhardissent et s’assouplissent, que l’imagination appauvrie des sculpteurs modernes se renouvellera naturellement, comme se renouvela celle de leurs ancêtres du moyen âge et de la renaissance, par la pratique de l’orfèvrerie, et par celle de la miniature. L’œil qui s’accoutume à la variété des inventions, au rythme harmonieux des formes, à la précision expressive de l’exécution dans les petites choses, ne tarde pas à les demander aux grandes.

Le petit Bonaparte entrant au Caire, en bronze doré, par M. Gérôme, réunit les meilleures qualités du sculpteur et du peintre : précision élégante des formes, justesse expressive des mouvemens, exactitude de la restitution historique, ingénieuse sélection et exécution savante des ajustemens et accessoires. Le cheval syrien, sec et bien pris, harnaché de belles orfèvreries, que monte le jeune général, saluant la foule, marche, d’un pas fier et contenu, dans lequel on sent la fermeté de la main qui le guide. L’artiste s’est plu à ciseler les riches arabesques de la selle, des arçons, des brides, de la têtière, de la garniture de poitrail, des étriers, aussi bien que du fourreau de sabre, avec un soin et un goût qui ne nuisent en rien à l’expression grave de la figure. Quelques