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et de lit pour l’envelopper. C’est le bras d’un brave mort en combattant pour le Gompa. La conservation des chairs dans les climats secs est extraordinaire. On conserve au Gompa des viandes pendant deux et trois ans, on les taille en surfaces amincies ; les petits gigots du Thibet sont ouverts en trois feuilles suspendues en plein air et se conservent sans autre préparation. Le Shagihot nous en fait apporter à goûter et, comme les gens du pays, nous nous amusons, le Commissioner et moi, à mordiller de petites lanières de cette viande ; elle est sècbe sans être dure, et conserve un goût de viande qui n’est pas désagréable, même crue.

Les tentes des pèlerins de Lassa reçoivent notre visite : les femmes ont des figures avenantes et plaisantes, des airs honnêtes qui ne ressemblent pas à la dépravation kashmiri.

Le dernier jour, les femmes du roi de Ladak ont fait demander si la Mem Sahib n’irait pas les voir ? Le Rajah, le Gialpo de Ladak, est logé pendant les fêtes en un pied-à-terre du Gompa. Il vient au-devant de nous sur la terrasse précédente, revêtu de sa belle robe de cérémonie, et je dois lui donner la main pour entrer. La mère du roi s’avance et, avec les inclinations, les signes de respect et de politesse orientale, on nous présente les femmes au nombre de quatre. Des coussins sont placés à terre, nous nous y asseyons ; et à côté de nous en un demi-cercle le roi et ses cinq femmes, tandis que le Shagjhot, le Cardar, le Munshi et les vingt ou trente personnages qui nous font suite restent debout. On nous sert le tchangue, la bière d’orge, sur une petite table à cinquante centimètres de terre avec des biscuits qu’il est d’étiquette de consommer.

La mère du roi a une assez jolie figure, très fine, très intelligente ; elle devine ce que je lui dis avant la traduction. Les princesses ont fait grande toilette pour nous recevoir, les cheveux nattés de frais sont très brillans et propres, et les jolis peyraks bleus, les oreillettes, les bijoux d’or, métal rare, les pierres et perles fines couvrent leurs cous, leurs épaules et leurs mains. La troisième femme est de Lassa et porte une couronne rouge garnie de turquoises. Elles sont vraiment jolies ; la première est toute jeune, plus surchargée de riches bijoux que les autres, elle a la tête fine, l’air doux et modeste, non sans gaieté ni malice. La figure de l’ascète s’illumine comme je ne l’aurais pas soupçonné, lorsque je lui fais compliment de la toilette de ces dames.

Il reçoit du Maharajah de Kashmir 1 500 roupies par an —