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en Angleterre, à Rome : pourquoi la pompe de nos cérémonies, frappant l’imagination de ces barbares, n’aurait-elle pas suscité quelques formes nouvelles dans leur liturgie ? Nous voyons bien aujourd’hui encore quelques innovations et modifications d’origine brahmanique se produire dans le culte bouddhique. Et déjà sous Grégoire IX, à la fin du XIIIe siècle, de nombreuses ambassades et caravanes avaient été envoyées en Asie, et y avaient introduit, avec des missionnaires, le spectacle de nos formes religieuses.

Je crois vraiment que j’ai laissé tous mes lamas une jambe en l’air pirouettant sur eux-mêmes, lorsqu’un coup de trompe du haut des marches du Gompa les fait remonter deux par deux. Et de nouvelles scènes commencent : entrée du Grand-Lama sous son parasol d’honneur précédé et suivi de toute sa cour ; devant lui, des encensoirs et de longues trompettes de plus de deux mètres portées par les uns, soufflées par les autres.

La préparation de cette représentation est l’occupation de toute l’année ; les scènes sont ordonnées exactement comme les pas de nos ballets ; une discipline très sévère frappe et punit la moindre erreur. Les lamas aux fêtes de squelette, grelots aux chevilles et à la ceinture, se livrent aux plus joyeux ébats. Ce sont aussi des rites, des psalmodies, des chants, des musiques, des cérémonies, des sortes de sacrifices offerts à des idoles brisées ensuite et dont les sacrificateurs se partagent les débris. Pendant que les acolytes du Grand-Lama dansent successivement devant lui leur pas seul, avec accompagnement de tambours en trémolo sur les crânes humains, ou bien que les personnages se livrent aux incantations les plus macabres, toujours des nuées de diables se précipitent et leur entrée est accompagnée des sifflemens les plus infernaux. Ils ont les jambes nues et la longue jupe en étroites lanières de folies ; ils bondissent, courent, jettent la perturbation, et sur je ne sais quelles objurgations, les voici partis sur de petits coups pressés de l’orchestre, poussant toujours leurs cris sifflans, pour aussitôt revenir et disparaître de nouveau.

Le second jour, trois chevaux et trois chiens prennent part à la cérémonie et reçoivent la triple aspersion de l’huile, du sang et de l’eau, et on les laisse, affolés, détaler avec leurs conducteurs et faire trois fois le tour du Gompa, tandis que quatre longs chalumeaux soufflent du haut du toit comme pour annoncer un