Page:Revue des Deux Mondes - 1897 - tome 142.djvu/149

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

inconvénient serait moindre sans doute si ces projets étaient adoptés après l’exécution des réformes que nous avons demandées. Mais, même en ce cas, nous repoussons cette doctrine.

En effet, l’institution du jury, fût-elle sérieusement améliorée, ne sera jamais un modèle de raison et d’exact équilibre. Le vice historique de la distinction du fait et du droit est de ceux qu’on pallie à grand’peine sans parvenir à les effacer. C’est seulement pour ne pas bouleverser la physionomie d’une juridiction aussi ancienne, aussi consacrée que la Cour d’assises, que nous avons touché avec tant de réserve au principe funeste de la séparation des pouvoirs entre le juge et le juré.

Ce principe est à nos yeux, ainsi qu’aux yeux de Tronchet, une pure chimère, « un fantôme », comme disent les Allemands. Nous l’avons respecté dans une institution centenaire, à laquelle l’opinion est plus attachée qu’elle ne croit, mais pourquoi l’introduire dans une institution nouvelle ? s’il s’agit de fonder un tribunal pour le jugement des affaires correctionnelles, pourquoi y introduire cette division byzantine qui prétend trancher en deux parts distinctes le jugement d’un acte criminel ? Pourquoi ne pas souder et réunir ces deux ordres de magistrats : les jurés et les juges, qui, sans se rencontrer et se comprendre, se cherchent depuis cent ans ?

Or cette conception, qui est celle de l’échevinage précédemment indiquée par nous, est déjà bien ancienne en France. Le 17 juillet 1791, la Constituante avait remis au jour cette idée antique et profondément nationale, en promulguant une loi ainsi conçue : « Le tribunal de police correctionnelle sera composé d’un juge de paix et de deux assesseurs. »

Cette idée, défendue au Conseil d’État de l’Empire par Siméon, Treilhard, Defermon, et même par Target, ne fut pas admise, et pendant plus d’un demi-siècle on oublia profondément les échevins en France. Il y a quinze ans, en 1882, plusieurs membres du Parlement, MM. Versigny, Bernard, Pierre Legrand et Martin-Feuillée, songèrent à les tirer de l’ombre, et firent de l’échevinage, ou plutôt de l’assessorat, l’objet de diverses propositions de loi. « L’assesseur, dit M. Pierre Legrand, sera un véritable juge plutôt qu’un juré… Le tribunal, ainsi composé d’un juge et de quatre ou de six assesseurs, prononcera sur le fait et sur le droit ; il prononcera sur l’application de la peine, sur les demandes en restitution et les dommages-intérêts. »