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nos traditions judiciaires et, en outre, il offrirait chez nous l’inconvénient de rendre plus ardente encore la lutte de parole, et d’augmenter ainsi les défauts de ce « duel oratoire » auquel nous désirons ardemment voir de jour en jour se substituer une calme recherche scientifique. Souhaitons donc seulement que certains membres de nos grands parquets, préparés de longue main aux services criminels, y puissent trouver, ainsi que les présidens, un emploi stable et honoré.

L’accusation, représentée par ces hommes expérimentés, ne fera plus consister uniquement son rôle dans une harangue d’apparat. Nous la voyons, à l’audience future, intervenir de préférence, ainsi que l’avocat, au moment de l’administration des preuves. C’est au cours des témoignages, des déclarations des experts, que s’établit une discussion simple et substantielle qui doit éclairer le jury.

Pourquoi n’irions-nous pas jusqu’à confier au ministère public et à l’avocat le soin « d’interroger eux-mêmes » les témoins et les experts « s’ils en font la demande d’un commun accord ? » Cette disposition, imitée du code de procédure pénale allemand[1], ne peut avoir que de bons résultats. En effet, tout ce qui place le président d’assises en dehors de la lutte, au-dessus du débat, ne fait que le grandir. Ce n’est pas, nous l’avons dit, que nous voulions interdire en principe au président le droit d’interroger l’accusé, les témoins, les experts ; mais plus ses interventions seront rares et discrètes, plus grande sera son autorité morale.

Quand les deux parties, d’un commun accord, questionneront les témoins, le président sera si visiblement à sa place d’arbitre que c’est vers lui sans aucun doute que les yeux des jurés se tourneront lorsque, au cours de ces interrogatoires, l’accusation ou la défense céderont à la passion. Le président redressera les erreurs commises ; nos jurés, comme les jurés anglais, sentiront qu’ils

  1. Voyez sur le Kreuzverhör (interrogatoire croisé) le Code de procédure pénale allemand, par F. Daguin. Introduction, p. 102. L’art. 238 du Code allemand est ainsi conçu : « Le président confiera le soin d’interroger les témoins et experts désignés par le ministère public, et par l’accusé au ministère public lui-même et au défenseur, s’ils en font la demande d’un commun accord. Le ministère public aura le droit d’interroger le premier les témoins et experts désignés par lui ; le même privilège appartiendra au défenseur à l’égard des témoins et experts désignés par l’accusé. Le président, de son côté, aura le droit, après cet interrogatoire, d’adresser aux témoins et experts toutes les questions qui lui paraîtront nécessaires pour élucider plus complètement l’affaire. »