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plus bel éloge de la politique des conservateurs : cela aurait prouvé, en effet, que M. Canovas avait amené les affaires cubaines jusqu’à ce point où, les rigueurs pouvant faire place à la douceur et la guerre à la diplomatie, il suffirait d’un gouvernement et d’un homme habiles pour réaliser l’apaisement. C’était trop beau pour être exact.

M. Sagasta tenait déjà ce langage à la veille de la réunion des Cortès. Il montrait une impatience extrême à reprendre le pouvoir : il s’offrait, il avait même un peu l’air de vouloir s’imposer. Sur ces entrefaites, s’est produit un incident parlementaire qui nous consolerait un peu des nôtres, si le mal d’autrui pouvait jamais être une consolation. M. le duc de Tetuan, ministre des affaires étrangères, a donné un soufflet à un sénateur, M. Comas. Jamais soufflet n’a eu un plus grand retentissement. L’affaire aurait pu se terminer par un combat singulier, mais les témoins ont déclaré que les torts ayant été simultanés et réciproques, il n’y avait pas lieu à une rencontre. Peut-être est-ce dommage ? La question, en effet, n’a cessé d’être personnelle que pour devenir générale : tous les libéraux se sont déclarés solidaires de M. Comas, et ils se sont mis parlementairement en grève jusqu’au jour où M. le duc de Tetuan aurait donné une satisfaction jugée suffisante au parti qu’il avait insulté dans la personne, et sur la joue d’un de ses membres.

Après quelques jours d’hésitation pendant lesquels on a cru que M. Canovas essaierait, puisqu’il avait la majorité, de gouverner avec elle, sans se préoccuper de l’abstention des libéraux, subitement il a remis sa démission et celle de ses collègues entre les mains de la reine régente. Il a confié à la Couronne le jugement du conflit survenu entre les partis. Quant aux Cortès, il les a prorogées. La reine Christine a fait ce qu’elle avait à faire : elle a consulté tout le monde. Elle a entendu d’abord les présidens des deux Chambres, puis M. Canovas, puis M. Sagasta, puis M, Silvela, le chef des conservateurs dissidens, puis le maréchal Martinez Campos, qu’elle a fait venir de Barcelone, puis les autres maréchaux. Les avis ont été partagés, comme il fallait s’y attendre. Les présidens des deux Chambres ont conseillé à la reine de garder M. Canovas, ce qui n’est d’ailleurs pas étonnant, puisque la majorité des deux Chambres est conservatrice et qu’ils le sont eux-mêmes. M. Sagasta lui a conseillé de faire appel à son dévouement, qui était tout prêt. Les militaires ont tous conseillé, avec une touchante unanimité, le rappel du général Weyler. Cette opinion ne saurait étonner, de la part du maréchal Martinez Campos que le général Weyler a remplacé à Cuba. On trouvait alors, — c’était l’opinion