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de foudre le fait quelquefois dans un ciel sans nuages. Pourquoi, comment M. Gérault-Richard, député socialiste, a-t-il traité ses collègues du centre de « mouchards » ? On ne saurait le dire au juste, et cet exemple explique combien l’histoire a quelquefois de peine à débrouiller les causes d’un événement que les contemporains eux-mêmes parviennent difficilement à comprendre. On avait beaucoup parlé, dans une discussion précédente, des différences de tempérament entre républicains, et M. Delcassé avait même émis l’opinion, probablement paradoxale, que ce sont les seules différences qui existent entre eux. M. Delcassé a un tempérament plus exigeant que M. Méline, et M. Gérault-Richard en a un incomparablement plus vif que M. Delcassé. Autrefois, des mœurs parlementaires mieux établies, et peut-être aussi une analogie plus grande dans l’éducation moyenne qu’ils avaient également reçue, avaient rendu plus facile aux hommes politiques de ces époques déjà lointaines de suivre le conseil que M. Denys Cochin a donné spirituellement à ceux d’aujourd’hui, à savoir de faire taire leur tempérament, lorsqu’il menace de faire trop de bruit. M. Gérault-Richard ne s’est pas conformé à cet avis, pourtant si sage : c’est tout ce qu’on peut dire de lui. M. Brisson a des défauts, mais il a une qualité qui convient très bien à un président : la dignité du gouvernement parlementaire n’est pas pour lui un vain mot. Il y croit, il ne supporte pas qu’on y porte atteinte, et il éprouve une secousse violente, un sursaut douloureux, lorsqu’il entend une expression comme celle qui a échappé à M. Gérault-Richard. Où irions-nous, si un pareil vocabulaire devenait celui de la tribune, ou même des bancs qui l’avoisinent ? M. Gérault-Richard, pressentant que les rigueurs du règlement allaient fondre sur lui, a demandé à s’expliquer ; mais la seule explication qu’il a donnée à ses collègues est qu’évidemment il avait plus de sang dans les veines qu’eux, puisqu’ils s’étonnaient que l’indignation, qui faisait autrefois les poètes, ait peut-être donné un coloris un peu cru à son style. Il n’a d’ailleurs rien retiré de ses paroles, et s’est borné à dire : « Messieurs, traitez-moi en ennemi, car c’est ainsi que je vous traiterai toujours. » On a trouvé généralement que M. Gérault-Richard aggravait son cas à plaisir ; mais, s’il faut le dire, l’émotion du président était peu communicative, et la Chambre restait assez indifférente, non seulement à l’opinion que M. Gérault-Richard pouvait avoir d’elle, mais à la manière dont il l’exprimait. On en a entendu tant d’autres ! Néanmoins le président avait raison, et lorsqu’il a proposé la censure avec exclusion temporaire, la majorité, la majorité vraie, cette fois, s’est prononcée pour lui. Et c’est là ce qui est instructif ! Nous n’insisterons pas sur la scène