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se borne à accuser le gouvernement de ce que la droite vote avec lui. Veut-elle que le gouvernement interdise à la droite de le faire ? La vérité est que, ces voix, l’opposition ne pardonne pas au gouvernement de les lui prendre ; elle les veut pour elle, elle les réclame, elle les revendique, sentant très bien qu’elle ne peut pas s’en passer. M. Denys Cochin n’avait qu’une question à poser à la gauche : — Pour qui devons-nous voter ? Vous ne voulez pas que ce soit pour le gouvernement : alors, c’est que vous voulez que ce soit pour vous. Querelle de jalousie ! Dépit amoureux !

On peut être sûr que M. Delcassé aurait accepté les voix de la droite pour renverser M. Méline. Il ne les a pas eues. Il n’a pas eu non plus celles du centre. Le ministère a conservé sensiblement la même majorité qu’avant les vacances parlementaires, c’est-à-dire une majorité d’une cinquantaine de voix. Avec cela, il peut gouverner longtemps encore. La démonstration qui était à faire a été faite : elle a été certainement instructive pour les hésitans, les irrésolus, les timides, enfin pour cette partie flottante qui, sur les confins des majorités, subit un flux et un reflux perpétuels, qui obéit toujours dans une certaine mesure à l’action des meneurs politiques, mais qui se conforme finalement à l’orientation des événemens. On avait tellement dit et répété que le ministère ne survivrait pas quinze jours à la reprise de la session parlementaire qu’un certain nombre d’esprits en avaient été ébranlés. Le procédé avait déjà servi ; il avait été inefficace ; n’importe : on voulait voir ce qui arriverait. Le nombre inusité de députés qui ont modifié leur attitude et changé leur vote au cours même des scrutins, montre à quel point quelques-uns d’entre eux ont la fidélité calculatrice, réfléchie, on pourrait presque dire rétrospective. Évidemment, ce ne sont pas des hommes de premier mouvement. Mais aujourd’hui qu’ils sont éclairés, on peut espérer qu’ils sont fixés. Il y a toujours une part d’imprévu dans la vie parlementaire, et les gouvernemens les plus solides en apparence sont sujets à des accidens inopinés et mortels. Il serait téméraire, en tirant l’horoscope du cabinet Méline, de prédire qu’il fera les élections prochaines. Cependant, si on ne le prédit pas, on commence à le dire, et, ce qui est mieux, à le croire. Le principal mérite en revient incontestablement à M. Méline. D’autres ministres ont eu plus de prestige : aucun, depuis longtemps, n’a montré plus de loyauté politique. Sa parole est toujours claire et nette, sans doute en vertu du vieil axiome que ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement. Il sait ce qu’il veut, il le dit, il le fait : surtout, il ne fait pas autre chose. Et la parfaite simplicité de ses allures lui