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heurtent à un tel faisceau de préjugés, à de telles résistances ataviques, qu’il faudra pour y habituer le monde du Palais beaucoup de prudence et d’obstination. Les générations nouvelles y viendront peu à peu, et il serait bon, pour les y amener, de tirer le droit pénal du rang humilié qu’il a tenu jusqu’ici dans l’éducation juridique. Nous souhaitons donc que, dans l’enseignement général du droit, le droit criminel et les sciences qui s’y rattachent prennent une place plus importante. N’est-il pas étrange que dans la réorganisation du doctorat (qui vient de s’accomplir), le droit criminel (Code pénal et Code d’instruction criminelle) ne soit nulle part exigé[1] ? Il y a là une véritable anomalie à faire cesser, et cela serait d’autant plus facile que nos Facultés comptent à l’heure actuelle plusieurs criminalistes éminens.

Cela fait, ce sera peu de chose sans doute, car enfin, quel que soit l’enseignement de l’école, la science du droit criminel s’acquiert surtout par la pratique. Il faudra donc, suivant les vues de M. Tarde, choisir pour présider les assises des hommes depuis longtemps préparés à cette tâche, et, autant que possible, spécialisés dans l’étude du droit pénal. Une fois désignés à ces hautes fonctions, il faudra qu’ils s’y fixent, et qu’ils s’y développent en mérite et en autorité, au lieu d’user leurs forces dans le chassé-croisé que nous avons décrit. Leur situation, leur rang, leur traitement, redisons-le, seront tels qu’ils n’auront nulle envie, à Paris par exemple, de gravir un échelon de plus et de changer encore de carrière et d’études en obtenant un siège à la Cour de cassation.

Mais, dira-t-on, ces présidens à vie vont être sans pitié ! Endurcis par le spectacle de tant de crimes, ils deviendront d’une affreuse et inexorable rigueur !

Cette objection serait puérile. Dans la magistrature, comme dans toutes les fonctions et dans tous les arts, c’est par l’expérience et par la pratique qu’il est permis à l’homme de vaincre les difficultés professionnelles et d’acquérir la supériorité. Or la supériorité du magistrat ne consiste assurément pas à être inexorable. Ceux qui deviennent tels (et à coup sûr ils sont fort rares), ont l’esprit faux, ou bien faussé par les mauvaises habitudes contre lesquelles nous nous élevons depuis le début de ces études, et qui tendent à faire du juge un auxiliaire de l’accusateur. Qu’on

  1. On ne l’exige, ni dans l’examen pour le doctorat ès sciences juridiques, ni dans celui pour le doctorat ès sciences politiques et économiques.