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préparation. Or, nous l’avons montré avec quelques détails, le président d’assises actuel n’est pas toujours un criminaliste ; il a souvent fait sa carrière « au civil » et il aspire à y rentrer définitivement sous la toge à revers d’hermine des présidens de cour. Ce n’est pas qu’un conseiller, qui a pu diriger des Parquets ou faire, ici et là, quelque peu d’instruction, ne soit rapidement capable d’acquérir comme président des assises, le tour de main, le tact, et l’aisance qui paraissent suffire à tout.

Mais ce sont là des dons dangereux. Comment un homme, quelle que soit son intelligence, apporterait-il des idées de quelque valeur dans ces affaires entièrement différentes auxquelles il passe du jour au lendemain ? Voilà un magistrat envoyé brusquement du civil au criminel. Hier il jugeait une grosse affaire de finances ; le voilà aujourd’hui aux prises avec les redoutables problèmes de la médecine légale ! Cette conception, qui consiste à faire du magistrat une sorte de « maître Jacques » du droit, est, il faut l’avouer, une conception d’un autre âge.

En effet, on le sait, il y a cent vingt ans, un conseiller au Parlement, jugeant à six heures du matin un procès civil selon la coutume de Paris, réglait à huit heures en administrateur quelque question touchant l’Université ou les hôpitaux ; à midi, devenu préfet de police, il mandait le lieutenant criminel et lui demandait des explications sur l’accident de la place Louis XV ; à deux heures, à la Tournelle, faisant fonction de juge criminel, il décidait, loin des yeux indiscrets, quelques pendaisons ou brûlemens… et le lendemain peut-être, à la Cour des pairs, il cassait le testament du monarque ou décidait le budget du pays.

À cette époque aussi, le même docteur cumulait les fonctions de médecin, chirurgien, dentiste, oculiste, apothicaire, chimiste, vétérinaire et même sorcier. Les progrès de la science ont nécessairement conduit aux spécialisations, et il faut bien reconnaître, malgré le pessimisme à la mode, que nos malades s’en trouvent un peu mieux.

Remettons donc les criminels entre les mains de spécialistes, et, sans aller jusqu’à dire avec Garofalo que les juges civils sont de tous les hommes les moins aptes à juger les procès criminels, reconnaissons qu’il y a un intérêt social de premier ordre à confier la solution des problèmes de pénalité à des hommes qui aient consacré leur existence à les approfondir. Mais comment formerons-nous de tels spécialistes ?