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renseignemens techniques, statistiques, scientifiques, que l’autre était pourvue de bastilles et de supplices.

Cette solution paraît séduisante à d’excellens esprits. Même certains criminalistes prétendent, avec M. Pedro Dorado, professeur à la Faculté de droit de Salamanque[1], que l’heure est venue de renoncer aux diverses superstitions qui, sous le nom de garanties de la défense, jury, barreau, publicité de l’instruction, gênent l’action du juge. « La peine est un bien, dit M. Dorado, chacun doit se pénétrer de cette vérité, et il convient que le juge, pour faire tout le bien possible, soit entièrement libre dans l’exercice de son ministère, sans aucune restriction quelle qu’elle soit, provenant soit du code pénal, soit du code d’instruction criminelle. »

On conviendra qu’il y aurait difficulté bien grande à découvrir des magistrats, de science assez profonde, d’impartialité assez surhumaine, pour que toute garantie légale devienne inutile à l’accusé. Mais eût-on découvert cet arbitre idéal, dont M. Dorado nous trace le portrait ; existât-il, comme il le faudrait, à plusieurs exemplaires, possédât-on un secret infaillible pour « développer » en toute occasion ce cliché si rare, nous ne voudrions pas encore laisser ce juge prononcer seul, et cela pour deux raisons.

D’abord, le peuple ne croirait jamais à tant de vertus, et l’autorité du juge serait affaiblie par le soupçon. Je ne vois guère que la Hollande où la magistrature soit assez populaire pour pouvoir, avec l’assentiment public, punir seule les grands crimes. Et encore, dans ce pays, une telle solution est-elle rendue plus facile par l’abolition de la peine de mort.

La seconde raison, plus essentielle encore à nos yeux, c’est que le juge professionnel, quelle que soit sa valeur, a besoin, pour juger sainement, de rester en contact avec la conscience générale, de ne pas perdre de vue cette notion moyenne et populaire de la moralité qui est l’apport du juré dans l’œuvre commune. Nous rejetons donc la solution qui consisterait à remettre la justice aux seules mains des juges permanens. D’ailleurs nulle assemblée parlementaire n’y pourrait consentir aujourd’hui.

Un parti reste donc à prendre.

Reconnaître comme un des fondemens de notre droit public le principe de la collaboration des juges populaires aux jugemens

  1. Voyez l’ingénieux article de M. Dorado dans la Revue du Droit Public, 1896.