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De son côté, l’artiste était déjà l’obligé de Peiresc; c’est, en effet, grâce à l’entremise de ce dernier que sur la prière de Gevaert, leur ami commun, il venait d’obtenir en 1619 un privilège du roi Louis XIII pour la vente de ses gravures en France. En envoyant à Gevaert la notification de ce privilège, avec prière de la transmettre « à son grand ami M. Rubens », Peiresc ajoutait qu’il aurait vivement souhaité « pouvoir faire un voyage à Anvers[1], surtout pour avoir la vue de ces belles têtes de Cicéron, de Sénèque et de Chrysippus dont il lui déroberait possible un petit griffonnement sur du papier, s’il lui permettait. » Rubens, quelque temps après, avait témoigné sa gratitude pour le service qui lui était ainsi rendu, par l’envoi de quelques-unes des meilleures planches exécutées d’après ses œuvres et par la promesse d’y joindre, dès qu’il le pourrait, des dessins de ses bustes antiques. Il craignait, disait-il, d’avoir été indiscret vis-à-vis de Peiresc et « de ne pas avoir de quoi s’en revancher à son endroit. » Dans ces conditions, on le comprend, la connaissance fut vite faite, et Rubens, introduit dans le cercle des intimes de Peiresc, forma avec ce dernier une amitié et entretint avec lui une correspondance qui devaient durer jusqu’à la mort du savant français. Ils allaient de compagnie visiter les collections royales et les cabinets des curieux, qui s’étaient formés en grand nombre à Paris dès la fin du siècle précédent, et comme plusieurs d’entre eux avaient été dispersés par suite des troubles du royaume, Rubens trouvait peut-être aussi l’occasion de faire pour son compte des achats destinés à accroître les richesses déjà réunies par lui dans son palais d’Anvers. En tout cas, les sujets de conversation ne pouvaient manquer entre des amis qui s’intéressaient à tant de choses, à la littérature, aux sciences naturelles, à la politique, surtout à l’archéologie qui leur tenait le plus au cœur. Nous trouvons l’écho du plaisir qu’un tel commerce procurait à Peiresc dans une lettre qu’à la date du 22 février 1622, il écrivait à Gevaert pour le remercier de lui avoir valu « la bienveillance de M. Rubens, ne pouvant assez se louer de son honnêteté, ni célébrer assez dignement l’éminence de sa vertu et de ses grandes parties, tant en l’érudition profonde et connaissance merveilleuse de la bonne antiquité qu’en la dextérité et rare conduite dans les affaires du monde ; non plus que l’excellence de sa main et la grande douceur de sa conversation,

  1. Il y était déjà allé pour visiter la collection d’antiquités formée par le peintre W. Coeberger.