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justifier l’emploi du subjonctif, ont supposé une ellipse : « Je désire que Dieu vous entende, — je souhaite que vous puissiez réussir. » Mais il n’y a pas là d’ellipse : en réalité, le français a si peu renoncé à cet élément subjectif qu’il a trouvé, pour l’exprimer, des formes nouvelles. S’il veut énoncer l’action avec une arrière-pensée de doute, il a des tours comme ceux-ci : Vous seriez d’avis que... Nous serions donc amenés à cette conclusion... Dans ces phrases, ce n’est pas une condition qu’exprime le verbe, mais un fait considéré comme incertain. Le conditionnel a donc hérité de quelques-uns des emplois les plus fins du subjonctif et de l’optatif.

Le discours indirect, avec ses règles variées et compliquées, est comme une transposition de l’action dans un autre ton. Ce que la langue écrite obtient au moyen des guillemets, la langue parlée le marquait par les formes diverses du verbe. Le subjonctif et l’optatif y avaient leur place naturelle, puisque un certain doute était nécessairement répandu sur l’ensemble du discours.

Il nous reste à parler du mode où l’élément subjectif se montre le plus fortement : l’impératif. Ce qui caractérise l’impératif, c’est d’unir à l’idée de l’action l’idée de la volonté de celui qui parle. Il est vrai qu’on chercherait vainement, à la plupart des formes de l’impératif, les syllabes qui expriment spécialement cette volonté. C’est le ton de la voix, c’est l’aspect de la physionomie, c’est l’attitude du corps qui sont chargés de l’exprimer. On ne peut faire abstraction de ces élémens qui, pour n’être pas notés par l’écriture, n’en sont pas moins partie essentielle du langage. Certaines formes de l’impératif lui sont communes, comme on sait, avec l’indicatif : il n’y a cependant aucune raison pour les regarder comme empruntées à l’indicatif. Je suis porté à croire, au contraire, que l’impératif est le premier en date, et qu’à l’inverse de ce qu’on enseigne, là où il y a identité, c’est l’indicatif qui est l’emprunteur. Peut-être ces formes si brèves, comme ἴθι. « viens » ! δός « donne », στῆτε « arrêtez » ! sont-elles ce qu’il y a de plus ancien dans la conjugaison.

Nous avons fait allusion au dédoublement de la personnalité humaine. Il y a dans la conjugaison sanscrite et zende une forme grammaticale où ce dédoublement se laisse apercevoir à découvert ; je veux parler de la première personne du singulier de l’impératif, comme bravāni « que j’invoque », stavāni « que je célèbre». Si bizarre que puisse nous paraître une forme de commandement