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« Un déraillement a eu lieu hier sur la ligne de Paris au Havre, qui a interrompu la circulation pendant trois heures, mais qui n’a causé heureusement aucun accident de personne, n’II est clair que le mot imprimé en italique ne s’applique pas à l’accident, mais qu’il exprime le sentiment du narrateur. Cependant nous ne sommes nullement choqués de ce mélange, parce qu’il est absolument conforme à la nature du langage.

Une quantité d’adverbes, d’adjectifs, de membres de phrase, que nous intercalons de la même manière, sont des réflexions ou des appréciations du narrateur. Je citerai en première ligne les expressions qui marquent le plus ou moins de certitude ou de confiance de celui qui parle, comme sans doute, peut-être, probablement, sûrement, etc. Toutes les langues possèdent une provision d’adverbes de ce genre : plus nous remontons haut dans le passé, plus nous en trouvons. Le grec en est largement pourvu : je me contente de rappeler cette variété de particules dont la prose de Platon est semée, et qui servent à nuancer les impressions ou les intentions des interlocuteurs. On peut les comparer à des gestes faits en passant ou à des regards d’intelligence jetés du côté de l’auditeur.

Une véritable analyse logique, pour justifier ce nom, devrait distinguer avec soin ces deux élémens. Si je dis, en parlant d’un voyageur : « A l’heure qu’il est, il est sans doute arrivé », sans doute ne se rapporte pas au voyageur, mais à moi. L’analyse logique, comme on la pratique dans les écoles, a été quelquefois embarrassée de cet élément subjectif : elle n’a pas vu que tout récit un peu entraînant, tout discours un peu vif, peut prendre le caractère d’un dialogue avec le lecteur. Tels sont ces pronoms jetés au milieu d’un récit, où le conteur a soudainement l’air de prendre à partie son auditoire. La Fontaine les affectionnait :


Il vous, prend sa cognée : il vous tranche la tête.


On les a appelés « explétifs », et en effet ils ne font point partie de la narration, ce qui n’empêche qu’ils correspondent à l’intention première du langage.

Faute d’avoir pris en considération cet élément subjectif, certains mots des langues anciennes ont été mal compris. Un linguiste contemporain, traitant de l’adverbe latin oppido, se refuse à croire qu’il soit l’ablatif d’un adjectif signifiant « solide,