Page:Revue des Deux Mondes - 1897 - tome 141.djvu/810

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

passives résistances servent le socialisme plus encore que les imprudences brouillonnes.

Ses utopies sont irréalisables, dit-on. Comment faire tenir une pyramide sur la pointe ? Soit ; mais il suffit qu’on essaie un jour de l’y placer, pour qu’en tombant, elle écrase tout autour d’elle. L’armée socialiste n’en est pas à se préoccuper de la stabilité de ses entreprises. Contre les folies auxquelles la poussent des chefs plus affamés encore de popularité que de violence, les défenseurs de l’ordre social n’ont d’autres garanties que leur fidélité à leurs devoirs et leur dévouement pour le peuple. Les fortunés de ce monde n’échapperont aux épreuves qui les menacent qu’en aidant les malheureux à secouer le joug de la misère et les humbles à s’élever.


La génération qui entre en scène aujourd’hui a devant elle de grands périls ; pour tenir tête à l’orage, elle a besoin d’autant de clairvoyance que de générosité. Si elle cède aux illusions ou à l’égoïsme, elle court aux plus redoutables malheurs. La question n’est plus de savoir si la démocratie sera ou ne sera pas ; il s’agit de bien autre chose. La démocratie sera-t-elle césarienne ou libérale, matérialiste ou chrétienne, socialiste ou fraternelle ? Tel est le problème de l’heure présente ; et de sa solution dépend l’avenir de la France.

Les conservateurs, tout vaincus qu’ils sont, peuvent beaucoup pour détourner cette démocratie de la route qui conduit à l’abîme et l’engager sur celle qui mène au salut. S’ils n’exercent plus une grande action électorale, ils exercent encore une grande influence sociale ; et c’est sur le terrain social que se livrera la bataille décisive. Dans l’ordre politique, ils représentent la force la plus nécessaire à un pays qui, comme le nôtre, manque de « la vertu du temps d’arrêt », la force de pondération et de stabilité. Qu’ils soient infidèles à leur double mission ; que, reprenant à leur compte l’égoïste formule « laissez faire, laissez passer », ils se croisent les bras dans une indifférence stoïque, et les conflits déjà si aigus, s’aigrissant encore, amèneront, avec de redoutables révoltes, de redoutables expiations.

On les entend répéter tous les jours, avec un découragement où il entre plus de mollesse que de sincérité : « Il n’y a rien à faire ». Quel langage, quand l’ordre public n’est pas troublé, le règne des lois pas interrompu, le Concordat en vigueur, quand la