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noblesse française[1]. Tout le monde paraît d’accord à reconnaître que la présence des grands seigneurs à l’Académie n’a pas été sans importance pour relever la condition des gens de lettres. Sans doute ils étaient admis déjà dans les salons du grand monde ; on ne demandait pas, à l’hôtel Rambouillet, d’où sortaient les poètes dont on applaudissait les vers, et les portes s’étaient largement ouvertes devant Voiture, quoiqu’il fût le fils d’un marchand de vin. Cependant on s’aperçoit bien qu’ils n’y étaient pas tout à fait sur le même pied que les autres. Ils amusaient la compagnie, on leur en savait gré et on les remerciait de bonne grâce ; mais dans la familiarité qu’on leur permettait d’avoir avec les grands seigneurs il entrait toujours une nuance de contrainte et de respect. Au contraire, la première loi de l’Académie c’est qu’entre tous les membres devait régner l’égalité la plus parfaite. Le fils d’un boulanger comme Quinault, un maître à danser comme Goibaud Dubois, un ancien maquignon comme l’abbé Genest, traitait d’égal un duc et pair et l’appelait son confrère. Rien de pareil ne s’était encore vu dans cette société aristocratique. Aussi ne semble-t-il pas que les gens de lettres se soient plaints d’être mêlés à l’Académie à des gens de qualité ; tout au plus a-t-on disputé sur les proportions du mélange. « Il faut qu’il y en ait, disait Segrais, mais le nombre devrait être fixé à sept ou huit, et les autres devraient être choisis dans toute sorte de littérature. » Bussy trouvait naturellement qu’il en fallait mettre davantage et qu’à l’Académie comme ailleurs, il n’y en avait jamais assez ; il est vrai qu’il avait la bonté d’ajouter : « Il faut pourtant y laisser toujours un nombre de gens de lettres, quand ce ne serait que pour achever le dictionnaire, et pour l’assiduité que des gens comme nous ne sauraient avoir en ce lieu-là. »


III

On a vu que les registres de l’Académie française commencent en 1672. Cette année est celle où Séguier mourut et où Louis XIV accepta d’être protecteur à sa place.

Ce n’était pas seulement un grand honneur pour elle, ce fut surtout un grand bonheur. En se rattachant directement à celui dont tout le reste dépendait, elle échappait au danger d’avoir un

  1. Ajoutons-y deux princes de la maison de Bourbon, le comte de Clermont et le Duc d’Aumale.