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savans[1], des magistrats, des ambassadeurs, et même des ministres. Une sorte d’instinct semble l’avoir avertie dès le premier jour qu’elle ne devait pas se contenter d’être tout à fait une société de gens de lettres. Les sociétés de ce genre deviennent facilement des coteries ; le souci des intérêts personnels, les amitiés, les jalousies y prennent trop d’importance ; à la longue, tout s’y rapetisse et s’y rétrécit. L’idéal de l’Académie fut d’être la représentation de l’esprit français. Il lui sembla que la littérature d’un pays, prise au sens le plus large, n’est pas seulement formée de ceux qui tiennent une plume, mais qu’elle contient aussi les gens de goût qui sont capables de comprendre et de juger les écrivains, qui les encouragent, qui les excitent, qui les forcent à s’élever et à se maintenir à une certaine hauteur, ceux enfin qui dans quelque ordre d’étude et de science que ce soit renouvellent par leurs découvertes les opinions et les connaissances, et forment ces grands courans d’idées qui se reflètent à leur tour dans les lettres et dont elles vivent. Cette conception de la littérature, qu’on la blâme ou qu’on l’approuve, est ce qui a donné à l’Académie française, parmi toutes les sociétés littéraires du monde, son caractère original.

En 1652, elle s’augmenta d’un élément nouveau qui, depuis, y a tenu une large place. Séguier, comme presque tous ceux qui s’étaient fait une brillante situation dans la magistrature ou dans les affaires, avait marié sa fille à un très grand seigneur. Il aimait tendrement le marquis de Coislin, son petit-fils, qui donnait de belles espérances, et, quoiqu’il n’eût encore que dix-sept ans, une place étant venue à vaquer à l’Académie, il la demanda pour lui, sous prétexte « qu’il ne croyait pas pouvoir mieux cultiver l’inclination que ce jeune seigneur témoignait pour toutes les belles connaissances. » La compagnie, dit Pellisson, ayant agréablement reçu cette proposition, l’élection fut faite huit jours après par billets, qui se trouvèrent tous favorables. Armand de Coislin était alors le plus jeune de l’Académie ; il se trouvait en être le doyen en 1702, lorsqu’il mourut ; il fut successivement remplacé par ses deux fils, en sorte que sa famille occupa sans interruption le même fauteuil jusqu’en 1733. A côté des Coislin ont siégé trois d’Estrées, trois Rohan, deux Richelieu, deux Saint-Aignan, un La Trémoille, un Montmorency, les plus grands noms de la

  1. Le médecin Cureau de la Chambre et Habert de Montmor chez lequel se tenait une réunion qui devint plus tard l’Académie des sciences.