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figures la joie de l’avoir retrouvée. Rien de tout cela ici; nous sommes entourés d’une population mendiante et immobile, aussi dépourvue de prévoyance qu’elle parait l’être de mémoire. Elle me rappelle l’âne de la fable qui continue à manger tranquillement l’herbe qui va changer de maître. Ces gens-là paraissent ignorer qu’il y a du mouvement autour d’eux et qu’ils ne sont plus aujourd’hui ce qu’ils étaient encore hier. On se perd, ici, à comprendre tout cela, et on deviendrait Turc si, au bout du compte, ne revenait pas toujours le refrain : « Mais heureusement que ce n’est pas là le peuple grec !» — Le contraire arrive ici de ce qui semblait devoir arriver. Modon est entouré d’une belle et vaste plaine, dont pas un pouce de terrain n’a de propriétaire légitime. Qui n’aurait cru que tout cela allait être partagé et travaillé? Ce ne sont pas les bras qui manquent, les montagnes sont pleines d’hommes. Est-ce paresse, ou bien avons-nous inspiré un véritable éloignement à ces hommes dont nous occupons, de force, les villes et les maisons? Reste que tout ici est dans une triste immobilité, et que la civilisation semble reculer devant cette armée qui devait en être le centre. En accuser les Grecs seuls serait injuste : les hommes ne savent que ce qu’on leur apprend. S’ils ne veulent pas apprendre, on peut encore les amener par la persuasion et en se donnant de la peine; mais encore faut-il le vouloir et l’essayer.

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Godefroy Cavaignac à son frère.


Paris, décembre 1828.


Mon cher Eugène,

Nous venons d’avoir de tes nouvelles... Je vous trouve tous fort heureux... Tu sais que tu as été cité dans le rapport particulier du ministre... Je t’approuve fort de n’avoir pas aussi mauvaise idée des Grecs que c’est la mode chez beaucoup de gens. Le fait constant, c’est que voilà huit ans qu’ils tiennent ; — mal ou bien, n’importe, — ils ont tenu. Il ne faut pas voir de près les plus grands événemens ; moins encore les résurrections de peuples ; il leur reste toujours trop de leur pourriture et de leur décomposition. Quant à la haine de tout étranger, c’est bon signe. Au fait, qu’est-ce qu’ils nous doivent?...

Quant à toi, je te trouve, encore une fois, bien heureux, et