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Tant d’êtres primitifs ont dormi dans ces draps,
Tant de marins partis pour la grande aventure,
Tant de durs laboureurs, tant d’hommes de nature,
Gagnant leur pauvre vie à la force des bras !

Simples, ils n’étaient pas de ceux-là qu’on acclame.
Leurs dévouemens obscurs, on les a méprisés.
Mais ce lit, confident de tant d’espoirs brisés,
A gardé, j’en suis sûr, une part de leur âme.

C’est lui qui, par un soir trop vite évanoui,
Accueillit le hardi jeune homme avec sa douce.
Il leur a fait un nid plus tendre que la mousse ;
Leurs honnêtes baisers l’ont souvent réjoui.

Il a connu le trouble et l’abandon des vierges.
Il fut l’ami des vieux et leur dernier soutien.
Il a vu la naissance et la mort du chrétien.
Il finira lui-même à la lueur des cierges.

Et comme je partais pour l’éternel azur
Avec ces braves gens et leurs vertus cachées.
Les images de saints, près de l’âtre accrochées.
Parurent tout à coup se détacher du mur.

Je vis venir à moi des bonshommes de plâtre.
Peinturlurés de vert, de jaune et de carmin.
Et tous me saluaient, tous avaient à la main
La crosse de l’évêque ou le bâton du pâtre.

L’un surtout souriait avec aménité !
C’était un beau vieillard à la barbe fleurie.
Je reconnus le clerc de la Vierge Marie,
Le pasteur et le juge, Yves de Vérité !

Il regarda mon lit avec des yeux d’ancêtre.
Son regard sans malice avait mille douceurs ;
Et celui devant qui tremblent les oppresseurs
Parla divinement en ce cadre champêtre.