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quatre mois, enfin que, le bruit courant ici que le Reschid pacha de Roumélie a fait savoir officiellement au général Schneider que la Porte était entrée en négociations avec la Russie, — d’après tout cela, dis-je, — il est permis de penser que le gouvernement français regarde comme possible, peut-être même comme probable, la rentrée, au printemps prochain, de notre division. Mais vouloir aller plus loin, c’est folie. Je crois, et il est très possible, qu’en définitive l’occupation se prolonge longtemps, si l’on considère surtout que la Grèce est entièrement dépourvue, — quoi qu’on se plaise à dire, — de force militaire (à moins qu’on ne veuille donner ce nom aux débris du corps de Fabvier) ; qu’il lui faut du temps pour en avoir une capable de la défendre, et qu’en supposant que la marine française continue à protéger les côtes contre les débarquemens turcs, il ne faut pas moins de 7 à 8 000 hommes de troupes régulières pour défendre l’isthme de Corinthe. Plusieurs de nos camarades reviennent de cette partie de la Morée ; ils ont vu les Tacticos. Tout cela est bien un commencement; mais, avant que le Grec ait compris qu’il vaut mieux tuer un homme par commandement que de se planter derrière un buisson et de l’égorger en guet-apens quand il passe, il s’écoulera du temps ; et, pendant tout ce temps-là, il sera à la merci du premier venu. Il est bien vrai que tout ce qui a voulu pénétrer en Morée par terre a été détruit ou a péri de sa belle mort. Mais, quoi qu’en aient dit les journaux philhellènes. Ibrahim, maître des places, était bien près de l’être du pays. Il y a de quoi rire de penser qu’on nous contait là-bas que les Grecs bloquaient Ibrahim dans les villes. Nous avons vu ce blocus de nos yeux : un père avec ses deux fils, ou bien trois ou quatre malheureux paysans, s’établissant à deux lieues de Navarin, à portée d’une source et d’un bois; ils vivaient là comme ils pouvaient. Plusieurs postes, répartis ainsi sur les côtes élevées observaient le pays et allumaient des signaux, pour avertir de la sortie du lion, et puis se sauvaient. C’est là ce que l’on appelait le blocus de Navarin ou de Coron : insuffisant, non seulement pour contenir l’armée égyptienne, mais, bien mieux encore, pour empêcher les Grecs eux-mêmes d’apporter leurs provisions au pacha et de nourrir leur ennemi. Je me demande encore quelquefois s’il est bien vrai que les Grecs aient voulu secouer le joug. Nous pouvions nous attendre à trouver ici une population en mouvement, à voir quelque part l’amour de la liberté, à lire sur quelques