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Le métier, chez M. Jules Lefebvre, n’est point si robuste, ni si riche, ni si éclatant ; il semble même qu’en analysant de plus près, avec une acuité de vision et une conscience d’analyse toujours croissantes, les visages et les gestes humains, cet honnête et fin portraitiste s’efforce d’alléger son dessin de toute surcharge et de tout éclat pouvant en compromettre la pureté. Cette façon grave et naïve, et dépouillée de tout artifice, de fixer légèrement sur la toile une silhouette à peine teintée, suffit d’ailleurs à M. Jules Lefebvre, en ses bons jours, pour tracer des figures inoubliables, tant cette silhouette est juste et vivante dans le rythme exact et précis de ses lignes, tant ces teintes sont délicates et fines dans la distinction de leurs accords discrets. C’est le cas, si nous ne nous trompons, pour cette charmante figure de jeune fille en blanc, dans une chambre blanche, Mlle B…, dont le profil est à la fois si candide et si décidé, et dont les mains sont d’un dessin si tranquillement hardi. Le portrait même de M. le comte B. de C…, en pied d’aspect plus froid, et plus mince, a des qualités de tenue et de sincérité qu’on ne trouve guère ailleurs. Pour admirer, avec un jeu de colorations plus savoureuses, de beaux portraits, d’un style moins fier et moins sobre, mais d’une allure bien vivante et d’une exécution particulièrement habile, on n’a qu’à passer dans la salle voisine, où M. Ferdinand Humbert (un exemple aussi de réflexion, de conscience laborieuse, de progrès incessans ! ) expose M. André H… en costume d’escrime, et Mme la comtesse de B… en vêtemens de soirée. Cette dernière figure possède la plus rare des élégances, l’élégance sans affectation, et l’orchestration assoupie des gris chauds, des bleus apaisés et des blancheurs tièdes y est conduite avec une expérience consommée.


III

L’audace sied à la jeunesse. Ce qui lui sied plus encore, c’est la fraîcheur d’imagination et la chaleur de l’âme. Fraîcheur ou chaleur, c’est, à vrai dire, ce qu’on trouve le moins dans la plupart des vastes toiles où nos jeunes peintres s’épanchent le plus librement. Une sorte de lassitude inquiète et de désenchantement précoce donne à leurs rêves l’apparence d’une combinaison, laborieuse et sans joie, de réminiscences voulues, quand elle ne les transforme pas en cauchemars excentriques ou grossiers. Entre leurs yeux déjà blasés et la nature qui les appelle, flotte on ne sait