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intérieurs moins artificiels, ce sont eux, en un mot, qui ont préparé toute l’évolution, non terminée encore, de l’imagination contemporaine dans le domaine de la peinture. Des maîtres qui, de bonne heure, ont pris une part active à cet admirable mouvement il nous reste quelques-uns : MM. Français, Harpignies, Busson, Bernier, Jules Breton, Vollon, etc., et le Salon de 1897, après quarante, cinquante et soixante ans d’activité, ne semble pas montrer, vis-à-vis de leurs cadets, ces rudes travailleurs en décadence, bien au contraire. M. Français, le plus ancien, ne se rappelle à nous que par deux études graves et charmantes, la Vallée de Cernay et le Ravin de Gihard, où la distribution facile des lumières apaisées parmi les étagemens des terrains bien assis et les masses des végétations bien construites atteste toujours une forte maîtrise ; mais on peut dire qu’il est présent dans toutes les salles, tant son influence s’y marque, de plus en plus, chez nombre de jeunes paysagistes s’inspirant de sa méthode pour lire avec clarté dans le panorama le plus compliqué et le plus embrouillé, et pour en dégager, avec les élémens essentiels, la signification durable et profonde par le rythme linéaire et l’harmonie colorée.

M. Harpignies, dont la personnalité si marquée ne s’est pourtant développée qu’avec lenteur, n’a pas été indifférent aux exemples de son vieil ami. Ses deux derniers paysages, les plus beaux du Salon, résument, avec une gravité puissante, tout l’effort d’une longue vie passée dans la contemplation réfléchie de la nature apaisée et apaisante. Comme chez M. Français, chez M. Harpignies, c’est d’abord la belle et solide ordonnance des premiers plans, arbres et terrains, au-delà desquels, sur des fonds tranquilles, s’étale une large lumière, qui attire et retient les yeux ; mais chez M. Harpignies, on trouve plus d’austérité, moins de distractions par le détail lumineux, une passion particulière et virile pour le grand silence et la grande solitude, et cette construction, plus rigide, prend un aspect pour ainsi dire monumental. Soit qu’on regarde, au fond de sa Solitude, s’éteindre les dernières lueurs du couchant, soit qu’on se sente doucement pénétré, devant les Bords du Rhône, par la sérénité calme d’une tiède matinée, l’impression éprouvée est toujours une impression prolongée et intense, une impression simple et durable, ou plutôt une forte synthèse des impressions infiniment nuancées que l’artiste a successivement éprouvées devant le même site, dans les