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une physionomie si singulière et si caractérisée. La virilité de l’esprit qui anime ce masque puissant et qui en éclaire toutes les irrégularités parlantes, épatement du nez, écrasement des lèvres, inégalité des yeux graves et perçans, a trouvé là, pour l’exprimer, une virilité d’art qui ne fut commune en aucun temps, mais qui, dans le nôtre, en ces heures de débilité et d’abandon, prend un caractère d’héroïque et nécessaire protestation. On n’a jamais mieux prouvé ce que peut contenir de poésie saine et forte la fidélité hardie et complète à la réalité, la simple exaltation et accentuation du fait naturel. C’est aussi par une scrupuleuse et attentive étude de son modèle que M. Paul Dubois donne une si haute valeur à ses portraits ; l’analyse, plus discrète chez lui, songe moins à faire saillir le caractère physique qu’à déterminer l’expression morale ; comme M. Bonnat, il dédaigne tous les accessoires, croyant que le visage humain doit parler seul et par lui-même ; mais ses procédés de peintre sont si modestes, autant que la tenue de ses figures, que le public passe souvent devant lui sans s’arrêter. Chez M. Henner, on le sait, la soumission à la réalité n’est point aussi frappante ; ses interprétations des physionomies contemporaines semblent parfois si personnelles et si audacieuses qu’on croit n’avoir affaire qu’à d’admirables fantaisies d’un harmoniste passionné. Des deux bustes de femmes qu’il expose, l’un en robe rouge peut sembler, en effet, un morceau de bravoure d’une virtuosité trop rapide et déjà connue ; mais l’autre, celui de la jeune fille aux yeux gris, avec les longs cheveux flottans, poussé et caressé dans les pénombres et les demi-teintes, avec un soin et une délicatesse extrêmes, donne, par l’expression particulière de tout, le visage, le sentiment d’une réalité charmante délicatement ressentie et délicieusement exprimée.

Malgré la valeur des peintres d’histoire et de portrait, de 1855 à 1870, c’est, on le sait, le groupe des peintres rustiques qui exerça sur toute l’école l’action la plus nouvelle et la plus féconde. Ce sont les paysagistes, peuplant ou non leurs paysages de figures, les uns plus poètes et plus classiques, comme Corot et Millet, les autres plus réalistes et plus familiers, comme Théodore Rousseau, Daubigny, Troyon, Courbet, qui accoutumèrent peu à peu les yeux à une liaison plus naturelle et plus intime entre les figures et le milieu ambiant, à plus de sincérité et de simplicité dans la représentation des choses et des gens, à une clarté plus fraîche de la lumière librement répandue en plein air ou dans des