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spéciaux, un article sur la situation, la vie, l’avenir des institutrices, sans y retrouver, à un degré quelconque, dans une page ou dans une ligne, cette inquiétude et ce doute, quand ils ne sont pas le fond, le cri de tout l’article. Et tout, en effet, peut inquiéter ! La grande majorité des femmes qui enseignent, ou se destinent à l’enseignement, vient de bas, avec des appétits et des prétentions : peu de morale et pas d’éducation. A-t-on de quoi remédier à cette origine, ajouter à ce manque de morale, corriger cette absence d’éducation, satisfaire ces prétentions, nourrir ces appétits, ou tout au moins les tromper et les amuser ? Inquiétude ! La foule des femmes qui enseignent n’est pas, d’autre part, la poussée puissante qu’on se figure, gênante mais généreuse, et qui donnerait partout, d’une façon générale, dix aspirantes pour une place. Il y a, comme nous l’avons vu, abondance sur quelques points, mais pénurie dans tout le reste, et vous voyez des engorgemens de trois et quatre mille candidates au brevet dans certaines villes, pendant que des départemens entiers n’en découvrent pas cinquante. Et pourquoi le trop-plein des pays instruits ne rétablit-il pas l’équilibre en se déversant dans les pays ignorans ? Parce qu’on n’est pas institutrice par vocation, mais par caprice. On veut bien l’être, mais on veut choisir sa place. On va très volontiers à Paris ou à Bordeaux, mais on ne veut pas aller s’enterrer dans un trou, et l’esprit de sacrifice, ou simplement de devoir, est le dernier qu’on se flatte d’avoir. On fait une affaire, on n’exerce pas un apostolat. Ambition, prétention, vanité, volonté de jouir générales ! Et tout le monde rêve de la grande ville, personne ne veut des petits pays. Ici, pléthore jusqu’à crever ; là, anémie jusqu’à mourir. Inquiétude !

Inquiétude également, et inquiétude assez vive, pour le petit monde des professeurs, licenciées, agrégées, répétitrices, maîtresses et directrices de lycées !… Certains de leurs maîtres voient avec terreur poindre en elles de futures adeptes des philosophies, des esthétiques et des excentricités décadentes, des perverties scientifiques et littéraires, des « rhéteuses », des espèces de doctoresses et d’étudiantes en dilettantisme. Et que peuvent bien promettre, en effet, des filles surmenées de concours, l’esprit surchauffé de poésie, de systèmes, de critique, de controverses, le cerveau surexcité par l’étude, et chez qui toute cette surexcitation ne doit trouver le plus souvent, comme fin régulière et effective, qu’une classe de quatrième ou de troisième à Grenoble ou à Montauban ? A quoi peut bien tourner pour une femme l’exaltation