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Je reprends ma lettre, ma chère maman, et, pour la première fois depuis la France, j’écris à la lumière. C’est une chose merveilleuse que de se retrouver un peu casé après deux mois et demi de vie champêtre ; chaque jour, on retrouve et on savoure, tout à son aise, des jouissances réelles dans la moindre commodité retrouvée. Je te rendrais mal, par exemple, le plaisir que j’éprouve à entendre la pluie battre sur notre maison et à n’en pas sentir les gouttes roulant le long de mes jambes. C’est presque une nouveauté pour moi que le vent soufflant sans m’enlever mon chapeau ou mon manteau. Ecrire sur une table, être assis sur une chaise, être étendu sur une bonne paillasse, tout cela est bien peu de chose pour toi : pour nous c’est une fête; et, au bout du compte, dans quelques jours, tout cela me paraîtra le plus simple du monde et j’en viendrai peut-être à trouver qu’il me manque bien des choses. Ce qui fera durer, je l’espère, le plaisir un peu longtemps, c’est la comparaison de notre position avec celle de cette misérable population qui nous entoure. Les Grecs semblent s’être donné le mot pour ne nous montrer que ce qu’ils ont de plus hideux et de plus dégoûtant. Les officiers qui ont été à Patras par terre prétendent avoir vu à Arcadia et à Pyrgos une population belle et offrant le spectacle d’une civilisation quelconque ; effectivement, lorsque nous avons quitté Patras, nous y avons laissé un commencement de nouvelle ville en planches, au bord de la mer... Mais, au demeurant, nous n’avons encore rien vu de propre.

Je crois t’avoir déjà dit que je m’abstenais de porter sur les Moréotes aucun jugement. Tout le monde n’agit pas aussi consciencieusement. Il semblerait déjà que nous regrettons d’être venus aider ces malheureux à devenir libres; mieux vaudrait presque avoir pris rang sous les bannières d’Ibrahim ! Tout cela est bien près de l’exagération. Ce que l’on peut croire, c’est que les Grecs, poussés à la révolte par je ne sais qui, sont fort au-dessous de la position intéressante d’un peuple esclave qui combat pour sa liberté. Cet esclavage même est la cause de leur abrutissement; il faudra bien des années pour les organiser. Tout ce que nous avons trouvé chez eux de bien visible et de bien positif, c’est leur haine de l’étranger et leur passion pour le pillage. Nous leur sommes aussi odieux qu’Ibrahim; ils paraissent attendre impatiemment le départ de gens qui ne sont pas venus pour leur livrer la tête et les biens de tous leurs ennemis; ils se méfient de nous