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antique n’est devenue vraiment intelligible que depuis le jour où l’on a été en mesure d’apprécier le caractère et l’importance du long travail préparatoire qui, partout, a préludé à l’essor final, à ce grand déploiement de génie et de puissance créatrice dont le spectacle fut donné, quelques siècles avant notre ère, par les cités de la Grèce et de l’Italie. Avant que l’on eût rétabli la suite de ces efforts ininterrompus, on s’expliquait mal que le progrès ait été, à partir d’un certain moment, si continu et si rapide ; on méconnaissait le rôle de ces obscures et patientes générations qui, en triomphant des difficultés initiales, ont tout rendu facile à leurs héritières ; l’art n’a pu naître que lorsque a été trouvé, après bien des tâtonnemens, le secret des procédés qui rendent l’homme maître de la matière et lui permettent de l’employer d’abord à la satisfaction de ses besoins, puis à l’expression de ses idées. Que l’on étudie les origines de ces industries élémentaires dans la vallée du Nil et dans celle de l’Euphrate, qui ont été les berceaux des plus anciennes civilisations, ou chez les peuples de notre Europe qui, d’abord attardés, ont ensuite rejoint et dépassé leurs aînés, c’est faire œuvre de justice et de piété que de remettre en lumière les mérites de ces premiers inventeurs, de relever les étapes du chemin qu’ils ont lentement parcouru, c’est payer une dette de reconnaissance, la dette de l’humanité adulte et libre, que ces ouvriers des heures de l’enfance commencèrent à affranchir des servitudes et des misères de la barbarie.

Pour ce qui est plus particulièrement des Sikèles, on comprend qu’il ne puisse être indifférent à tous ceux qu’intéresse l’histoire de la Sicile et surtout aux Siciliens de savoir ce qu’ont été ces premiers habitans de l’île, dont ses habitans actuels retrouvent partout la marque dans ces milliers de grottes qui trouent les flancs de leurs vallées. Personne n’ignore combien de races diverses, Phéniciens, Grecs et Latins, Arabes et Normands, ont apporté leur contingent à la formation du peuple de sang mêlé qui donne tant de soucis aux ministres du roi d’Italie ; mais les Phéniciens n’ont eu que quelques comptoirs dans une seule partie de l’île ; les Grecs se sont cantonnés sur les côtes ; les Romains et les Normands n’ont fait que passer, comme administrateurs, comme négocians, comme grands propriétaires nobles ; les Arabes se sont concentrés dans les villes ; ils ne se sont guère répandus dans les campagnes. En tout pays, c’est la classe rurale qui constitue le fond de la population, celui qui résiste aux invasions et