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sens, — de l’avantage de gens qui se voient attaqués par une puissance qui leur corne aux oreilles que, tirer le canon, couper les vivres, chasser des places, détruire les vaisseaux, ce n’est pas faire la guerre, c’est intervenir! grand mot qui intervient toujours lui-même fort à propos, pour tirer nos diplomates d’affaire. — Les Turcs, dis-je, ne sont pas niais, et si peu, que lorsque le général Sébastiani leur fit demander explication de leur conduite, ils répondirent que l’armée française n’était pour rien dans tout ceci ; qu’ils étaient bien loin de vouloir faire acte d’hostilité contre la France, mais qu’un propriétaire qui voit un voleur escalader sa maison est bien indulgent encore lorsqu’il ne lui jette que des pierres, et qu’ils n’avaient pas pris pour autre chose une douzaine d’hommes sans armes, qui avaient insulté leurs remparts. Sur l’avis qu’on leur donna de la reddition de Modon et de Navarin, ils demandèrent à envoyer un officier s’assurer des faits, et qu’après ils se rendraient ; — ce qui fut fait le lendemain, où il nous fallut encore escalader les murs, car, pour les décider à nous ouvrir la porte, il n’y fallut pas penser.

Voilà, ma chère mère, l’histoire de cette fameuse expédition de Morée, déjà terminée sans doute, puisque Patras, — où d’abord la garnison révoltée avait étranglé son chef, — a fini par se rendre, et que des ordres donnés pour se préparer à partir pour Athènes ont été contremandés ce matin, attendu que MM. les ambassadeurs ont décidé que le traité du 6 juillet ne parlait que de la Morée. Qu’allons-nous faire ici? Voilà ce que tout le monde se demande. Quelques voix s’élèvent déjà pour parler de retour, mais espérons qu’il n’en est pas encore sérieusement question; il serait par trop cruel d’être venu ici pour ne pas voir tout le pays. Pour moi qui me porte bien, qui ne m’ennuie pas, et qui suis encore assez jeune pour perdre du temps, je désire rester ici et voir venir. Les Russes avancent vers Constantinople; les Anglais ont force troupes dans leurs îles ; on ne sait ce qui peut arriver.

Adieu...

P.-S. J’oubliais de te dire que le général Sébastiani a été plein de bonté pour moi ; qu’il a demandé, au moment de mon départ, que je fusse renvoyé et attaché à sa brigade.