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mutuellement. Même entre des villes dont le dialecte était pareil, comme Agrigente et Syracuse, il régnait des jalousies qui les avaient souvent empêchées de se prêter entre elles un secours efficace, quand elles s’étaient vues menacées par l’ennemie commune, la redoutable Carthage. Pour peu qu’elles hésitassent à se concerter, toutes les chances du jeu seraient pour celui des belligérans qui, bien établi dans une position centrale, pourrait, à volonté, se jeter tantôt sur l’un, tantôt sur l’autre de ses adversaires et, en cas d’échec, trouver un sûr refuge dans le labyrinthe des hautes vallées de la chaîne des Nébrodes et de celle des monts Héréens. Là, sur des mamelons autour desquels se creusent des gorges profondes, se dressaient de nombreux villages où l’on n’accédait que par des sentiers pierreux et glissans, plus faits pour le pied des chèvres que pour celui des hommes. Tel le vieux chemin, encore visible par endroits, qui seul, avant que l’ingénieur moderne eût tracé dans le flanc de la montagne une grande route aux nombreux lacets, conduisait à Castrogiovanni ; cette ville, située à plus de mille mètres au-dessus du niveau de la mer, occupe l’emplacement d’Henna, qui était l’une des plus fortes places du pays des Sikèles. La lutte entre Grecs et Sikèles ne serait d’ailleurs plus aussi inégale qu’elle l’avait été deux ou trois siècles plus tôt. Durant les longues guerres qui, pendant les dernières années du sixième siècle et pendant les premières du cinquième, avaient mis aux prises entre eux et avec les Carthaginois les tyrans de Syracuse, de Cela et d’Agrigente, beaucoup de Sikèles avaient servi comme mercenaires dans les troupes de tel ou tel de ces princes ; ils avaient appris à manier les armes des Grecs et à manœuvrer suivant les règles de leur tactique savante.

Dès 461, au lendemain de la chute du tyran Thrasybule, quand fut rétabli à Syracuse le gouvernement populaire, Doukétios s’était signalé à l’attention de ses compatriotes en leur assurant un précieux avantage. Profitant de la réaction qui se prononçait partout contre l’œuvre des tyrans, il avait réclamé, au nom des Sikèles, des terres excellentes qui leur avaient été arrachées par Hiéron, quand celui-ci avait fondé la ville d’Etna, sur les pentes méridionales du volcan. Sans attendre la décision des Syracusains, il ouvrit la campagne contre les gens d’Etna et les battit ; on accepta le fait accompli ; les vaincus allèrent s’établir dans un canton moins fertile, à Inessa, que leur cédèrent les Sikèles. Ceux-ci, après un quart de siècle, rentrèrent en possession de leurs