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« N’exigez pas autant d’amitié que vous en aurez ; les hommes, pour l’ordinaire, sont moins tendres que les femmes.

« Vous serez malheureuse si vous êtes délicate en amitié ; demandez à Dieu de n’être pas jalouse.

« N’espérez jamais faire revenir un mari par les plaintes, les chagrins, les reproches. Le seul moyen est la patience et la douceur, mais j’espère que M. le duc de Bourgogne ne vous soumettra pas à ces épreuves[1]. »

A une enfant de douze ans, ces conseils devaient paraître un peu graves, car elle était toute à la joie de son prochain mariage. Cependant, quelques jours auparavant, elle avait eu un chagrin. La duchesse de Savoie, qui n’avait eu jusque-là que des filles, était accouchée d’un fils qui mourut en naissant. La tristesse était grande à la petite cour de Turin, et, sensible comme elle était et sincèrement attachée à ses parens, la Princesse en prit sa part : « Elle pleura fort, » dit Dangeau. A l’occasion de ce malheur, le duc de Bourgogne voulut écrire à son futur beau-père, mais une question d’étiquette arrêta ce bon mouvement. Comme il n’avait jamais écrit à personne, il était nécessaire de régler le protocole de sa correspondance. Une difficulté s’était élevée à ce sujet, quelques années auparavant, entre Monsieur et le duc de Savoie, son gendre. Monsieur voulait mettre sur l’inscription de ses lettres : A M. le duc de Savoie, mon gendre, ce qui impliquait la supériorité, et que le duc de Savoie lui écrivît seulement : A. M. le duc d’Orléans. Le duc de Savoie voulait au contraire l’égalité et, depuis cette contestation, le beau-père et le gendre avaient cessé de s’écrire. Torcy chargea Briord, notre nouvel ambassadeur à Turin, de régler la question en ce qui concernait le duc et la duchesse de Bourgogne.

Briord fut chargé d’aviser la cour de Turin « que le Prince et la Princesse ne recevraient point de lettres sur l’inscription desquelles il y aurait autre chose que Mgr et Mme la duchesse de Bourgogne, tandis qu’au contraire, sur l’inscription de leurs lettres, ils ajouteraient toujours, suivant les cas, mon père, ma mère, ou mon beau-père. » Mais comme le duc de Bourgogne ne pouvait mettre sur l’inscription d’une lettre : A M. le duc de Savoie mon beau-père, avant que le mariage ne fût conclu, Briord était chargé d’expliquer que, pour cette raison, il n’écrirait

  1. Conseils aux demoiselles, t. I, p. 163.