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justice que tous deux étaient d’accord pour tenir les jeunes princes tout à fait en dehors de ces fâcheuses controverses. « Aucun d’eux, écrivait Beauvilliers à l’abbé Tronson, ne sait qu’il y ait au monde une femme qui s’appelle Mme Guyon, ni un livre intitulé le Moyen court[1]. » Les choses changèrent lorsque au mois de février 1697 parurent les Maximes des saints. On sait tout le bruit que fit l’apparition de ce livre, les contradictions et les controverses qu’il suscita ; la vigoureuse réplique de Bossuet dans son Instruction sur les états d’oraison ; enfin l’appel à Rome à la requête de Fénelon lui-même, qui voulait se soustraire à la juridiction de ses collègues de l’épiscopat. Mais tout ce bruit lui fut fatal.

Louis XIV avait à l’endroit de toutes les nouveautés religieuses une répugnance instinctive. D’ailleurs cette doctrine raffinée du pur amour devait particulièrement déplaire à son sens droit, mais un peu gros, et il aurait volontiers pris à son compte le mot que les anciennes disputes sur la grâce avaient inspiré à Mme de Sévigné. « Epaississez-moi un peu la religion qui s’évapore à force d’être subtilisée. » Il avait vigoureusement réprimé le jansénisme. Ce n’était pas pour laisser s’établir en France le quiétisme. À l’accueil glacial qu’il fit à Beauvilliers lorsque celui-ci lui présenta les Maximes des saints, les amis de Fénelon auraient pu deviner que sa disgrâce était proche. L’ouvrage, qui avait paru chez Aubouin, portait sur la première feuille : Explication des maximes des saints sur la vie intérieure, par Messire de Salignac-Fénelon, archevêque-duc de Cambray, précepteur de Messeigneurs les ducs de Bourgogne, d’Anjou, de Berry. Les prélats les plus considérables de France s’accordaient pour censurer ce livre. L’orthodoxie de l’auteur devenait suspecte. Son nom allait être mêlé à des controverses théologiques. Peut-être serait-il condamné. Il n’était pas possible de le laisser plus longtemps se parer de ce titre de précepteur des enfans de France dont il commençait déjà de se servir comme d’un moyen de défense. « Chassera-t-on de la Cour, avait-il écrit dans un mémoire, comme un infâme quiétiste, un archevêque qui a instruit les princes pendant sept ans[2] ? » Le Roi sentait sa conscience troublée et sa responsabilité en jeu. S’il faut en croire le récit de d’Aguesseau, « il alla d’abord chez Mm’ de Maintenon, et lui dit d’un ton qui faisait

  1. Le Moyen court de faire oraison était un des écrits de Mme Guyon.
  2. Œuvres complètes de Fénelon, t. II, p. 256.