Page:Revue des Deux Mondes - 1897 - tome 141.djvu/516

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

expression dont lui-même devait bientôt se servir, « le cœur de Mme de Maintenon s’était resserré à son égard. » Malgré son empire sur lui-même, il ne put s’empêcher d’en marquer quelque chose. Suivant l’abbé Proyart[1], « il répondit au Roi qu’il ne pouvoit regarder comme une faveur une disposition qui l’éloignoit de M. le duc de Bourgogne avant qu’il eût mis la dernière main à son éducation. » Le Roi lui aurait dit alors « qu’à la vérité, il ne pourroit pas, de quelques années, résider exactement dans son diocèse, mais que l’emploi qu’il remplissoit à la Cour lui paroissoit une raison bien légitime de dispense. » Mais Fénelon, « aussi invariable dans ses principes de conscience que dans ses maximes de politique », aurait insisté sur l’obligation de la résidence pour un évêque, obligation dont certains de ses collègues dans l’épiscopat ne laissaient pas de se dispenser assez volontiers. On trouva enfin, toujours au dire de Proyart, un tempérament : ce fut que Fénelon, « restant toujours chargé de diriger l’éducation du duc de Bourgogne, résideroit neuf mois de l’année à Cambray et passeroit auprès de son élève les trois mois que le concile de Trente accorde aux évêques pour vaquer, hors de leurs diocèses, aux affaires de leurs églises ou aux leurs. »

En fait, ce fut bien ainsi que les choses finirent par s’arranger. Mais il nous paraît douteux que Louis XIV ait mis autant d’insistance à retenir Fénelon auprès de son petit-fils. On connaît le propos que, suivant Voltaire, il aurait tenu, à la suite d’une conversation avec Fénelon : « Je viens de m’entretenir avec le plus bel esprit de mon royaume, et le plus chimérique. » L’authenticité en est assez douteuse, comme celle de beaucoup de propos historiques. Mais Louis XIV avait assez de clairvoyance et de connaissance des hommes pour deviner le politique et le censeur qui, chez Fénelon, se cachait sous le prêtre et l’homme de cour, et il ne dut pas être fâché qu’un prétexte honorable se présentât de l’éloigner un peu.

Cependant, et malgré ce soupçon de disgrâce, Fénelon conservait encore la haute main sur l’éducation du duc de Bourgogne. De Cambray où, dès le mois d’août 1695, il va s’installer, nous le voyons écrire à l’abbé Fleury, sous-précepteur, plusieurs lettres où il trace pour son élève un vaste programme de lectures sacrées ou profanes. Rendons-lui, ainsi qu’à Beauvilliers, cette

  1. Proyart, Vie du duc de Bourgogne, t. I, 59.