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et qui a vu de près ses débuts. C’est Mme de Caylus. « Le public, dit-elle, dans ses Souvenirs[1], a de la peine à concevoir que les princes agissent simplement et naturellement, parce qu’il ne les voit pas d’assez près pour en bien juger, et parce que le merveilleux, qu’il cherche toujours, ne se trouve pas dans une conduite simple et dans des sentimens réglés. On a donc mieux aimé croire que Mme la Dauphine ressembloit à Monsieur son père, et qu’elle étoit, dès l’âge de onze ans qu’elle vint en France, aussi fine et aussi politique que lui, affectant pour le Roi et Mme de Maintenon une tendresse qu’elle n’avoit pas. Pour moi, qui ai eu l’honneur de la voir de près, j’en juge autrement, et je l’ai vue pleurer de si bonne foi sur le grand âge de ces deux personnes, qu’elle croyoit avec raison devoir mourir devant elle, que je ne puis douter de sa tendresse pour le Roi. » Pourquoi ne pas croire, en effet, avec Mme de Caylus que si, au début, l’empressement de la Princesse pour le Roi ne fut que docilité aux recommandations paternelles, ou plus simplement instinct de coquetterie enfantine, le cœur n’y soit avec le temps entré pour quelque chose ? Plus sensible peut-être que profonde, toujours elle s’attacha facilement, et, de son côté, quand il le voulait, Louis XIV savait être bon et aimable. Les rares lettres que la Princesse adressait à sa grand’mère Madame Royale (les archives de Turin n’en contiennent aucune de cette époque adressée à sa mère) témoignent toutes de sa reconnaissance pour le traitement dont elle était l’objet et de sa constante préoccupation de plaire au Roi.

Dans l’une de ces lettres[2], elle parle de la prise de Barcelone qui avait eu lieu au mois d’août. « J’ai eu, dit-elle, une grande joie de la prise de Barcelone, ma chère grand’maman, car je suis bonne Française, et je sens bien tout ce qui peut plaire au Roy auquel je suis aussy attachée que vous le pouvées désirer » ; et dans une autre lettre : « Je n’ay pu vous écrire le dernier ordinaire, ma chère grand’maman, parce que je sors continuellement, et que je vais tous les soirs voir le Roy. Je suis assurée que cette excuse ne vous déplaist pas, et que vous trouvés mon temps bien emploie quand je le passe auprès du Roy. Ses bontés pour moi ne se peuvent exprimer, et comme je connois l’intérest que vous prends à

  1. Collection Petitot, 2e série, t. 66, Souvenirs de la marquise de Caylus, p. 485.
  2. Les originaux de ces lettres sont aux archives de Turin. Elles ont été publiées par la comtesse délia Hocca, qui a cru devoir en corriger l’orthographe. Nous les citerons d’après les originaux.